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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/344

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— Il est vrai ; ces populations nous apportaient des vivres, et à ta voix s’agenouillaient à notre passage.

— Du temps des autres guerres, tu aurais laissé la moitié de tes troupes dans ce pays entrecoupé de marécages, de haies et de bois ; aujourd’hui, tu l’as traversé en maître ! D’où vient ce changement ? de ce que la foi catholique pénètre peu à peu chez ces peuples jusqu’alors indomptables ; nous leur avons prêché la soumission à Louis-le-Pieux, les menaçant du feu éternel s’ils résistaient à vos armes. Ils ont craint l’enfer et nous ont obéi.

— En effet, plusieurs Centeniers de ces vieilles bandes, qui ont guerroyé ici du temps de Karl-le-Grand, me disent chaque jour qu’ils ne reconnaissent plus ce peuple breton, jadis presque invincible. Cependant, moine, malgré tes explications, je ne puis comprendre que le passage de ces défilés soit abandonné.

— Rien de plus simple, cependant ; Morvan, d’après son plan de campagne, comptait sur la résistance des tribus que nous venons de traverser, et que cette résistance durerait deux ou trois jours ; Kervor, chef de ces tribus, est au contraire venu m’instruire des desseins de Morvan, et m’assurer que ses hommes ne se battraient pas ; ces excellents catholiques ont tenu parole ; aussi, en un jour, sans tirer l’épée, tu as traversé un pays qui, sans la défection de Kervor, devait te coûter plus de trois jours de bataille et le quart de tes troupes. Morvan, ne se doutant pas de ta prompte arrivée aux défilés de Glen-Clan, ne les enverra occuper que ce soir ou demain ; il n’a pas assez de combattants pour les laisser un ou deux jours oisifs, surtout lorsqu’il est attaqué de trois côtés différents par trois corps d’armée.

— Je n’ai rien à répondre à cela, père en Christ ; tu connais le pays mieux que moi. Ah ! que cette guerre réussisse, j’aurai ma part des terres de la conquête. Selon la promesse de Louis-le-Pieux, je deviendrai aussi puissant seigneur en Bretagne que Gonthram, mon frère aîné, l’est en Auvergne, depuis la conquête de Clovis.