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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/134

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avec de la paille ses longs cheveux noirs en cinq ou six nattes, et elles pendaient de sa nuque et de ses tempes, comme autant de queues ; à peine vêtu d’un mauvais sarrau rapiécé de haillons de toutes couleurs, il portait pour chaussure des peaux de lapins ou d’écureuils attachées autour de ses pieds et de ses jambes avec des liens d’osier. Yvon, poursuivi de près et de différents côtés par les serfs du château, fit dans la cour plusieurs crochets pour échapper à ses tourmenteurs ; mais, reconnaissant Marceline, qui, debout sur le premier degré de la tourelle, où elle se disposait à monter, contemplait l’idiot avec grand’pitié, il courut vers la jeune fille, et, se jetant à ses pieds, afin de se mettre sous sa protection, il lui dit en joignant les mains : — Pardon ! pardon !

— Monte vite l’escalier ! — répondit Marceline à l’idiot en lui indiquant du geste les marches de la tourelle. Se relevant en hâte, Yvon suivit le conseil de la jeune serve ; celle-ci se plaça dans l’embrasure de la porte, déposa sa cruche à ses pieds, et s’adressant aux persécuteurs d’Yvon qui s’approchaient : — Ayez pitié de ce pauvre idiot ! il ne fait de mal à personne !

— Je l’ai vu sortir à pas de loup des taillis de la forêt, du côté de la Fontaine-aux-Biches ! — s’écria un serf forestier. — Ses cheveux et ses haillons sont trempés de rosée ; il aura été dans quelque épais fourré tendre des lacets pour prendre du gibier qu’il mange cru !

— Oh ! il est bien le digne fils de Luduecq, le forestier, qui vivait comme un sauvage dans sa tanière, ne sortant jamais du fond des bois, — dit un autre serf. — Il faut nous amuser de ce bestial !

— Oui, oui, plongeons-le jusqu’aux oreilles dans la vase de la mare voisine, ce sera son châtiment, puisqu’il va tendre des lacets pour y prendre le gibier ! — dit le forestier. Puis, faisant un pas vers la jeune serve qui barrait toujours la porte, il s’écria : — Hors de là ! sinon nous te faisons prendre un bain de bourbe avec le bestial !

— Songes-y ! — s’écria Marceline, — ma maîtresse, dame Adelinde, camériste de la reine, me vengera de vos mauvais traitements !