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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/186

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L’AUTEUR


AUX ABONNÉS DES MYSTÈRES DU PEUPLE


Chers lecteurs,


Nous voici arrivés à l’une des périodes les plus importantes et les plus douloureuses de notre histoire : l’époque de la féodalité... cette exécrable féodalité, dont notre immortelle révolution de 1789 à 1792 put seule effacer les derniers vestiges ; la féodalité, la conséquence la plus saisissante, la plus horrible de l’invasion des Franks, accomplie au cinquième siècle par les hordes sauvages de HLLOD-WIG (Clovis) ; oui, la féodalité commençant de s’établir vers la fin du règne de la seconde race de ces rois étrangers à la Gaule et atteignant son entier développement sous leur troisième race ; celle de Hugh-Capet, fut le résultat naturel, fatal, de la conquête franke. En deux mots, rappelons l’enchaînement des faits :

Clovis, ce monstre de férocité, si religieusement loué par l’Église catholique, s’empare de la Gaule, grâce à l’abominable complicité des évêques ; ils appellent les hordes barbares des Franks, et, prêchant la sainteté de cette sanglante invasion, le clergé ordonne au peuple des Gaules, sous peine du feu éternel, de subir la domination étrangère. Ce peuple, jadis si belliqueux, si intelligent, si patriote, mais que l’Église avait hébété, avili, châtré depuis trois siècles, ce peuple obéit aux prêtres ; Clovis devient maître de notre pays, réduit les Gaulois, nos pères, au plus affreux esclavage, garde pour lui la plus grande partie des terres, des troupeaux, des maisons, des richesses du pays, et partage le reste, terres, gens et bétail, entre les évêques catholiques et ses leudes (chefs de hordes). Ces terres et leurs habitants esclaves, Clovis, nous l’avons vu, les distribuait à ses compagnons de guerre à bénéfice, c’est-à-dire qu’il accordait la jouissance, soit temporaire, soit héréditaire, de ces biens, moyennant certaines obligations, matérielles, pécunières ou honorifiques. Durant le règne de la première et de la seconde race des rois franks, les seigneurs bénéficiers ont un but constant, opiniâtrement poursuivi : le but de s’affranchir de leurs obligations envers la royauté, d’usurper son pouvoir et de rendre héréditaire, absolue et indépendante, pour eux et leurs descendants, soit la jouissance des domaines dont ils étaient bénéficiers, soit la possession des comtés ou duchés qu’ils gouvernaient au nom des rois. Vers le commencement du règne de la troisième race de Hugh-Capet, qui dut sa couronne à l’adultère et au meurtre, les seigneurs atteignirent enfin leur but ardemment poursuivi sous les descendants de Clovis et de Charlemagne ; ils devinrent indépendants, dès lors le système féodal ainsi fondé, atteint sa plus complète expression, sa plus épouvantable puissance ; en un mot, tous les seigneurs franks descendant des premiers conquérants de la Gaule, et jusqu’alors possesseurs de terres à bénéfice, ou gouverneurs de comtés ou de duchés qu’ils devaient administrer au nom des rois, se déclarèrent souverains héréditaires, absolus et indépendants, chacun dans ses possessions.

La royauté fut ainsi peu à peu dépouillée, d’âge en âge, d’un grand nombre de provinces dont elle était seule propriétaire, ou qui relevaient de la couronne lors des premiers siècles de la conquête, et le roi, au temps de la féodalité, ne fut plus qu’un des nombreux petits souverains qui tyrannisaient et exploitaient les peuples asservis, n’ayant, lui, roi, sur les seigneurs, ses égaux, ses pairs, ainsi qu’ils s’appelaient, d’autre autorité que la force, quand, par hasard, il était le plus fort, et cela n’arrivait