Aller au contenu

Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/197

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le serf ne répondit rien, ses dents claquaient d’épouvante, il tomba aux genoux du baillif en tendant vers lui ses deux mains garrottées ; soudain, une jeune fille sortit du groupe des habitants du village ; elle avait les pieds nus et pour vêtement un sayon grossier ; on l’appelait Perrine-la-Chèvre, parce qu’autant que ses chèvres elle était sauvage et amoureuse des solitudes escarpées ; son épaisse chevelure noire cachait à demi son visage farouche brûlé par le soleil ; s’approchant du baillif sans baisser les yeux, elle lui dit brusquement : — Je suis la fille de Pierre-le-Boiteux ; si tu veux torturer quelqu’un, laisse là mon père et prends-moi !

— La mèche !... — dit impatiemment Garin-Mange-Vilain à ses hommes, sans seulement regarder ou écouter Perrine-la-Chèvre ; — la mèche... et dépêchons, la nuit vient. — Pierre-le-Boiteux, malgré ses cris, malgré les supplications déchirantes de sa fille, fut renversé à terre et contenu par les gens du baillif ; la torture du serf commença sous les yeux de ses compagnons de misère, abrutis par la terreur, par l’habitude du servage et par les prêtres, qui, comme toujours, prêchaient aux victimes, sous peine des flammes éternelles, soumission et résignation envers les bourreaux. Pierre, sentant la mèche soufrée brûler la chair de ses pouces, jetait d’affreux hurlements ; Perrine-la-Chèvre ne criait plus, n’implorait plus les tourmenteurs de son père : immobile, pâle, sombre, l’œil fixe et noyé de larmes, tantôt elle mordait ses poings avec une rage muette, tantôt elle murmurait : — Si je savais la cachette, je la dirais... je la dirais...

Enfin, Pierre-le-Boiteux, vaincu par la douleur, dit à sa fille d’une voix entrecoupée : — Prends la houe, cours dans notre champ ; tu fouilleras au pied du gros orme et tu trouveras en terre neuf deniers dans un morceau de bois creux. — Puis, jetant sur le baillif un regard désespéré, le serf ajouta : — Hélas ! voilà tout mon trésor, maître Garin !

— Oh ! j’étais certain, moi, que tu avais une cachette ! — dit le