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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/242

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bourse remplie d’argent, et la déposa en soupirant sur la table de pierre, acquittant ainsi le droit de relief dû au seigneur par tout vassal qui prend possession de son héritage. Puis, à un signe du baillif, le châtelain de Heurte-Mont, ôtant son casque, débouclant le ceinturon de son épée, se mit humblement à deux genoux devant le seigneur de Plouernel ; mais le baillif, remarquant que le jeune homme, venu à cheval, conservait ses éperons, lui dit d’un ton courroucé : — Vassal ! oses-tu prêter hommage et foi à ton seigneur avec des éperons aux talons (X) ?

Le châtelain répara cette incongruité en ôtant ses éperons, se remit à genoux aux pieds de Neroweg VI ; et, les mains jointes, la tête baissée, il attendit humblement que son seigneur eût prononcé, d’un air sombre et distrait, la formule consacrée : — Tu reconnais être mon homme lige, en raison de ce que tu possèdes à fief une châtellenie dans ma seigneurie ?

— Oui, — répondit humblement Gerhard ; — oui, mon seigneur.

Tu jures, par la foi de ton âme, — reprit Neroweg VI, — tu jures de ne jamais porter les armes contre moi, de me servir et de me défendre contre mes ennemis ?

— Je le jure ! — ajouta le châtelain, — je le jure, mon seigneur.

— Tiens ton serment... sinon, à ta première félonie, ton fief est à moi (Y)... — dit Neroweg VI. Et se retournant vers son baillif, il lui ordonna d’un geste de faire approcher une autre personne. Gerhard se relevant rechaussa ses éperons et reboucla le ceinturon de son épée en jetant un dernier regard d’adieu sur sa grosse bourse d’argent laissée sur la table de pierre en payement du droit de relief ; tandis que, par ordre du baillif, s’avançait, inquiète, tremblante et les yeux pleins de larmes, la jeune fille richement vêtue ; sa mère, non moins émue, l’accompagnait. Lorsque toutes deux furent à quelques pas de la table de pierre, le seigneur de Plouernel dit à la damoiselle : — Cette fois, as-tu réfléchi ?... es-tu décidée ?