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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/276

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ces courroies cette grosse pierre aux pieds, afin de modérer ses gigottements.

— Ce tiraillement doit être atroce.

— Atroce, Bezenecq-le-Riche, atroce ! figure-toi que la mâchoire se déboîte, le cou s’allonge, les jointures des genoux et des cuisses se disloquent et craquent à les entendre à dix pas ; cependant, Bezenecq-le-Riche, croirais-tu qu’il se rencontre des têtus assez têtus pour ne point se rendre à cette première épreuve ?

— Ce que je ne comprends point, — reprit le marchand en dissimulant l’horreur qu’il éprouvait, — c’est qu’au lieu de s’exposer à cette torture, on ne donne pas tout de suite loyalement tout ce qu’on possède, ainsi que je l’ai fait... Au moins l’on échappe au supplice et l’on recouvre sa liberté ; n’est-ce pas, digne baillif ?

— Oh ! toi, Bezenecq-le-Riche... tu es la perle des citadins !

— Vous me flattez... j’ai seulement fait un raisonnement très simple, — ajouta le marchand essayant de capter la bienveillance de Garin, dans l’espoir d’obtenir un réduit convenable pour lui et pour Isoline ; — je disais tout à l’heure à ma fille : Supposons que ma fortune entière soit placée à bord d’un vaisseau ? il naufrage, je perds tout mon avoir, je me trouve absolument dans la même position où je suis aujourd’hui ; mais, loin de me laisser abattre, je me mets à travailler de nouveau avec courage pour soutenir mon enfant..... N’est-ce pas le meilleur parti à prendre, digne baillif ?

— Tu n’en seras jamais réduit là... Bezenecq-le-Riche !

— Vous aimez à plaisanter, il vous plaît de me donner ce surnom de riche, à moi, maintenant non moins pauvre que Job.

— Non, non, je ne plaisante point... Mais revenons à la torture ; je te disais donc que si la première épreuve ne suffit pas à décider le têtu à abandonner ses biens, on le soumet à la seconde... que je vais t’expliquer. — Et Garin, tenant toujours le marchand par la main, le conduisit devant le crochet de fer : — Tu vois ce croc, il est de taille à supporter le poids d’un bœuf ?