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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/67

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hauteur de sa grande taille ; se débarrassant de son voile, laissant tomber à ses pieds sa robe noire, Shigne, la vierge-au-bouclier, apparut dans son armure guerrière, son fier visage encadré d’une résille de mailles de fer qui remplaçait son casque. — Skoldmoë ! — s’écria-t-elle en répétant son cri de guerre, — debout mes vierges ! pitié pour les femmes ! exterminez les hommes ! — Et brandissant une hache à deux tranchants, elle bondit comme une panthère, et abattit à ses pieds l’un des guerriers franks qui s’élançait sur elle.

— Skoldmoë ! — répétèrent les autres vierges-aux-boucliers en se débarrassant de leurs voiles, de leurs robes, et comme la belle Shigne, elles chargèrent les guerriers à coups de hache et d’épée. Les fidèles, naguère en prières, éperdus, fuyaient vers les portes de la basilique, les moines se cachaient derrière les mausolées des tombes royales ou embrassaient les autels, leur dernier refuge ; les voûtes de l’église retentissaient de cris de terreur, de gémissements, d’invocations suprêmes. Sœur Agnès, qui avait introduit les femmes pirates dans l’abbaye, s’écriait, les yeux étincelants, la joue enflammée :

— Vengeance ! exterminez l’abbé ! Il y a un mois j’ai surpris son commerce criminel avec la nièce de notre abbesse ; elle et lui m’ont fait torturer et jeter dans un cachot ! Cette nuit, les femmes des North-mans ont envahi notre couvent, guidées par un de nos serfs révoltés ; j’ai consenti avec joie à servir la ruse de ces diablesses pour me venger de l’abbé... cherchez-le ! exterminez-le !

Les paroles de sœur Agnès se perdirent au milieu du tumulte des armes ; les guerriers, plus nombreux que les femmes pirates, tâchaient de les rejoindre à travers la foule épouvantée ; mais la nouveauté de ce combat avec des guerrières dont quelques-unes étaient belles, étonnait les plus jeunes de ces soldats ; involontairement ils hésitaient parfois à frapper ces vierges ; celles-ci, animées par l’exemple de Shigne, qui faisait rage à coups de hache, se battaient héroïquement. Les vieux soldats, insensibles à l’émotion que causait à quelques-uns de leurs compagnons cette lutte à mort contre des