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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 8.djvu/11

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de 1789-1792, et chacun de ces pas dut être marqué par des insurrections successives ; écoutez encore à ce sujet Augustin Thierry :

«… N’ayant guère eu jusque-là d’autre perspective que celle d’être déchargés des services les plus onéreux, homme par homme, famille par famille, les paysans s’élevèrent à des idées, à des volontés d’un autre ordre, ils en vinrent à demander leur affranchissement par seigneuries et par territoire, et à se liguer pour l’obtenir. Ce cri d’appel au sentiment d’égalité originelle : nous sommes hommes comme eux, se fit entendre aux seigneurs, qu’il éclairait en les menaçant. » (Ibid., XXV.)

Et plus loin :

« Les deux grandes formes de constitution municipale : la Commune proprement dite, et la Cité, régie par les conseils, eurent également pour principe l’insurrection plus ou moins violente, plus ou moins contenue, et pour but l’égalité des droits et la réhabilitation du travail. »

Oui, égalité des droits, réhabilitation du travail, tel a été le mobile, le but constant des légitimes et saintes insurrections qui ont précédé la grande et décisive insurrection de 1789.

Et maintenant, chers lecteurs, le récit suivant vous causera sans doute, comme à nous, d’abord de la désespérance… et ensuite de l’espérance… sentiments qui semblent se contredire et cependant s’accordent…

Un moment vous désespérerez de l’avenir, en voyant, il y a quatre siècles, malgré l’alliance des seules forces vives et productives de la nation, l’artisan, le paysan et le bourgeois, malgré la conquête d’une constitution (pour parler le langage moderne) beaucoup plus radicale, beaucoup plus démocratique que celle de 1789, la France, après cette sublime aspiration vers la liberté, vers l’égalité, vers la réhabilitation du travail, retomber épuisée, saignante, asservie, sous le joug de la royauté.

Mais vous espérerez, chers lecteurs, mais vous sentirez plus que jamais affermie en vous votre foi ardente, inébranlable, au progrès, cette loi infaillible de l’humanité, en songeant qu’après quatre siècles de luttes terribles, d’insurrections tour à tour victorieuses ou vaincues, les principes désormais impérissables de 1356, prématurément affirmés par le génie d’Etienne Marcel, ont été proclamés, aux applaudissements de tous les peuples, par les constituants de 1789, affranchissant le monde, et sont devenus l’Evangile de la société moderne !

Courage donc, chers lecteurs, courage, pas de défaillance, et que, selon notre vœu le plus cher, ces enseignements puisés dans le passé soient votre consolation et votre espoir…

Annecy-le-Vieux (Savoie), 12 juin 1853.

Eugène Süe................................