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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 8.djvu/176

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Soudain Mahiet tressaillit en jetant les yeux à quelques pas : il venait d’apercevoir Mazurec et Guillaume transportant les restes d’Aveline… Il comprit tout, ses traits exprimèrent une douleur profonde, et, s’agenouillant, il dit :

— À genoux, Rufin… à genoux, bonne hôtesse… Ah ! je dois attendre la fin de ces funérailles pour révéler à Mazurec qu’il est mon frère…

Adam-le-Diable venait d’achever de creuser la fosse d’Aveline-qui-jamais-n’avait-menti. Guillaume et Mazurec, tenant par les épaules et par les pieds le corps de la jeune femme, la descendaient dans sa tombe… Les paysans s’agenouillèrent mornes et silencieux.

Oh ! fils de Joel ! ce fut un tableau d’une grandeur lugubre, que ces humbles funérailles de la pauvre vassale pieusement accomplies sous la voûte de la forêt, au milieu de ces rocs entassés aux abords du souterrain… immense tombeau de tant d’autres victimes ! Tout concourait à rendre cette scène terrible, saisissante ! Ici les débris sanglants et sans forme du bailli, l’exécuteur impitoyable des ordres du sire de Nointel ; là, les cadavres des Anglais, non moins exécrés que les seigneurs par le peuple des campagnes ; plus loin la foule des serfs, à genoux, tête nue, vêtus de haillons, armés d’armes étranges, meurtrières, et contenant à peine, devant ce deuil qui l’exaspérait encore, leur légitime ardeur de vengeance ; enfin, ce père, cet époux, enterrant de leurs mains celle-là qui devait être la consolation de la vieillesse de l’un… la joie, l’amour de la jeunesse de l’autre !

Le corps de la morte étendu au fond de la fosse, Adam-le-Diable commença de la combler de terre ; alors Guillaume Caillet, debout près de la sépulture de sa fille, et tenant serré sur sa poitrine Mazurec qui, retrouvant des larmes, sanglotait en cachant sa figure, Guillaume Caillet s’écria d’une voix qui fit palpiter tous les cœurs :

— Et maintenant adieu, ma fille ! adieu, ma pauvre Aveline ! toi qui jamais n’avais menti ! toi qui jamais n’avais fait le mal ! adieu ! et pour toujours adieu ! — Puis, levant vers le ciel sa main trem-