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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 8.djvu/180

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Ce jour-là, une brillante compagnie, nobles, seigneurs, dames, damoiselles et enfants de châtellenies voisines, réunis dans la galerie du château de Chivry, s’empressent autour de la belle Gloriande, triomphalement assise sous le dais, sorte de siége élevé, recouvert de brocart d’or et surmonté d’un ciel empanaché ; jamais la damoiselle n’a paru aux yeux éblouis de ses admirateurs plus superbe et plus rayonnante : elle resplendit de parure ; ses cheveux noirs, tressés d’un fil de perles et d’escarboucles, sont à demi cachés par son virginal chapel de fiancée ; sa robe de velours blanc, brochée d’argent, découvre hardiment sa poitrine et ses bras accomplis. Une écharpe de soie orientale, frangée de perles, ceint sa taille svelte et élevée. L’œil brillant, la joue animée, la lèvre souriante, Gloriande reçoit les compliments de la noble assemblée qui la félicite sur son mariage, dont l’heure va bientôt sonner à la chapelle du château. Le vieux sire de Chivry jouit en bon père du bonheur de sa fille et des hommages dont il la voit entourée. Cependant, malgré l’épanouissement de ses traits, Gloriande fronce de temps à autre ses noirs sourcils en regardant avec impatience du côté des portes de la grande galerie ; le comte de Chivry, surprenant un de ces regards impatients, dit à sa fille en souriant : — Sois tranquille… Conrad ne tardera pas à paraître.

— Mon père, sa bizarrerie est inexplicable. Quoi ! de retour de la guerre et arrivé ce matin ici, je ne l’ai point encore vu ?

— Eh bien ! tiens, le voici… regarde-le… ma belle amoureuse !

Au moment où le vieux seigneur parle ainsi, un cortége triomphal entre dans la salle immense. Des joueurs de clairon ouvrent la marche, sonnant un air de bravoure, puis viennent des pages, aux livrées du sire de Nointel, suivis de ses écuyers ; ceux-ci conduisent enchaînés dix hommes hideux à voir ; leur crâne et leur visage complètement rasés, sont d’un brun couleur de suie ; mornes, accablés, ils tiennent leur tête tristement baissée et portent de longs sarraus tout neufs, en étoffe mi-partie blanche et verte (couleurs armoriales