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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 8.djvu/254

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colique ; il contempla en silence, pendant quelques instants, sa studieuse retraite, témoin des profondes méditations de son âge mûr ; puis, s’appuyant sur une grande table couverte de parchemins, il dit à Mahiet avec un soupir de regret :

— Combien de longues veillées j’ai passées ici, élaborant à la lueur de cette petite lampe, ces plans de réformes qui seront un jour, quoi qu’il arrive, la base immuable des franchises du peuple ! l’Évangile des droits du citoyen ! Ici se sont écoulées les plus heureuses, les plus belles heures de ma vie !… Quel bonheur pur je goûtais ! Soutenu par mon ardent amour du juste et du bien, éclairé par les leçons du passé, je m’élevais jusqu’aux plus sublimes théories de la liberté ! J’ignorais alors les déceptions, les maux, les retards, les luttes, les orages, qu’engendre fatalement la pratique des choses ! la vérité m’apparaissait dans sa radieuse simplicité… Je comptais alors sans les passions humaines… Il n’importe, la vérité est absolue… Tôt ou tard, elle s’impose à l’humanité, qui toujours marche, progresse et s’améliore…

Mahiet écoutait Marcel avec un muet respect ; il vit cet homme illustre, le front pensif, s’absorber de plus en plus dans ses réflexions. Au bout de quelques instants, Marcel se dirigea vers un bahut de chêne noirci par les années ; il l’ouvrit, tira divers parchemins de ce coffre, les apporta sur la table, prit un escabeau, s’assit et commença d’écrire… Sa figure mâle et caractérisée révéla bientôt un attendrissement croissant ; Mahiet, à sa grande surprise, aperçut quelques larmes tombant des yeux du prévôt des marchands sur les lignes qu’il venait de tracer… Les pleurs de ce grand citoyen, d’une si rare énergie, d’un stoïcisme antique, impressionnèrent vivement l’Avocat d’armes ; son cœur se serra ; il commença de soupçonner les motifs de l’affectation de sécurité dont Marcel avait fait montre devant sa famille. Enfin, il le vit essayer ses yeux du revers de sa main, et sceller d’un cachet de cire noire, au moyen du large chaton d’une bague d’or qu’il portait au doigt, le parchemin sur lequel il venait d’écrire ;