Aller au contenu

Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 8.djvu/9

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

furie sauvage déchaînée par la souffrance et le désespoir : il avait, entre autres actes, envoyé des renforts aux paysans révoltés, afin de les mettre à même de s’emparer du marché de la ville de Meaux. Ce marché, situé dans une île formée par la Marne et par le canal du Cornillon, défendu par des fortifications, était la place d’armes du régent et dominait la ville. L’attaque fut sollicitée par les habitants de Meaux eux-mêmes, qui n’osaient seuls se soulever contre la garnison de troupes royales, dont les exactions et l’insolence les poussaient à bout. Les bourgeois de la cité ouvrirent leurs portes aux Jacques envoyés par Marcel, fraternisèrent avec eux, dressèrent des tables dans les rues, et après cette agape du paysan, de l’artisan et du bourgeois, tous marchèrent à l’attaque de la place d’armes ; mais les troupes royales, bien armées, commandées par des chevaliers expérimentés, firent une horrible boucherie de cette multitude sans discipline et presque sans armes. La ville de Meaux et ses habitants furent brûlés, ainsi que le dit Froissart, les Jacques exterminés, puis tous les paysans, Jacques ou non, que les nobles purent atteindre, périrent dans d’abominables supplices.

Cette sympathie des bourgeois et des populations urbaines pour les Jacques et leur accord pour tenter de briser le joug de la royauté sont surabondamment prouvés par les contemporains.


Le Continuateur de la Chronique de Guillaume de Nangis dit textuellement (t. II, p. 115) :


«… Les gens de Paris qui, au nombre de trois cents, allèrent se joindre aux Jacques à Meaux, avaient pour capitaine un épicier de Paris, nommé Pierre-Gilles. Il se joignit à lui une autre troupe d’environ cinq cents Parisiens commandés par Jean Vaillant, prévôt des monnaies du roi, qui avait rassemblé sa troupe à Tilli. »

«… La guerre des Jacques, dit Michelet, avait fait une diversion utile à celle de Paris. Marcel avait intérêt à les soutenir ; les communes hésitaient ; Senlis et Meaux les reçurent ; Marcel leur envoya du monde pour les aider à prendre Meaux. » (Hist. de France, vol. III, p. 400.)

« Malgré les excès et les cruautés des Jacques, le parti bourgeois, — dit Sismondi, — ne pouvait se refuser à profiter d’une pareille diversion, et beaucoup de riches hommes se mêlèrent bientôt à la Jacquerie. Pour la diriger, Marcel envoya des Parisiens aider les Jacques à prendre le fort château d’Ermenonville. On n’égorgea pas les gens qu’on y trouva ; mais on les obligea de renier gentilesse et noblesse ; les paysans sentaient eux-mêmes la nécessité de s’allier aux bourgeois. Ils se présentèrent devant Compiègne, ville royaliste, qui leur ferma ses portes ; mais ils furent reçus dans Senlis (ville de commune). »

« Le mouvement parisien, — dit Henri Martin, — commença de la façon la plus régulière ; ceux qui le dirigèrent n’étaient ni d’obscurs agitateurs enhardis par leur obscurité même, ni des malheureux poussés à bout par la misère et par le désespoir, c’étaient les chefs électifs du corps municipal, qui avaient déjà figuré aux précédents États-généraux : gens honorable, ayant pour la plupart d’assez grands biens, tel était entre autres le prévôt des marchands, Étienne Marcel, l’homme le plus considérable par son mérite et par sa position sociale qu’il y eût alors dans la bourgeoisie française. »


Maintenant laissons parler, sur l’ensemble des faits précédents, un illustre historien souvent cité par nous et dont vous avez pu déjà, chers lecteurs, apprécier le savoir, l’éloquence et le patriotisme.


« Ici apparaît un homme dont la figure a de nos jours singulièrement grandi pour l’histoire mieux informée ; Étienne Marcel, prévôt des marchands, c’est-à-dire chef de la municipalité de Paris. Cet échevin du quatorzième siècle a, par une anticipation étrange, voulu et tenté des choses qui semblent n’appartenir qu’aux révolutions les plus modernes :

» L’unité sociale et l’unité administrative ;

» Les droits politiques étendus à l’égal des droits civils ;

» Le principe de l’autorité publique transféré de la couronne à la nation ;

» Les États-généraux changés sous l’influence du troisième ordre en représentation nationale ;

» La volonté du peuple attestée comme souveraine devant le dépositaire du pouvoir royal ;

» L’action de Paris sur les provinces comme tête de l’opinion et centre du mouvement général ;

» La dictature démocratique exercée au nom du droit commun ;