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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/105

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l’ordre des carmélites, frère Aymeri, de l’ordre des prêcheurs, maître Éraut et maître François Ganivel, conseillers du roi, se rendirent, vers le milieu du jour, au logis de Jean Rabateau, afin de procéder à l’interrogatoire de Jeanne ; elle les attendait, toujours vêtue de ses habits d’homme.

Figurez-vous, fils de Joel, une vaste salle basse, en son milieu une table, autour de laquelle se rangent ces hommes appelés à constater que la Pucelle est ou n’est pas possédée du malin esprit. Les uns sont en froc brun ou en robe blanche à capuce noire ; d’autres en robes rouges fourrées d’hermine. Leur aspect est défiant, ironique ou sévère. Ils ont été choisis à dessein par l’évêque de Chartres ; il les préside en sa qualité de chancelier de France ; ce saint homme, âme damnée de Georges de La Trémouille, a vu avec un secret dépit la pureté de Jeanne reconnue par le concile de matrones ; mais, malgré ce premier échec aux méchants desseins dont il est complice, il espère que la pauvre paysanne, troublée à l’aspect imposant du docte et redoutable tribunal, abasourdie de subtiles ou insidieuses questions sur les matières théologiques les plus ardues, se compromettra, se perdra par ses réponses. Plusieurs courtisans, ayant foi dans la mission de la jeune inspirée, l’ont suivie à Poitiers, afin d’assister à son interrogatoire ; ils se pressent à l’entrée de la salle.

Jeanne est introduite ; elle s’avance, pâle, triste, les yeux baissés. Telle est sa délicate et fière susceptibilité, qu’à la vue de ces conseillers, de ces prêtres, de ces hommes, instruits de l’humiliant examen qu’elle vient de subir, Jeanne, quoique sa pureté virginale ait été constatée, se sent presque autant confuse que si on l’eût déclarée impure ! pour une âme aussi chaste, aussi élevée que la sienne, l’ombre d’un soupçon, même évanoui, devient un irréparable outrage ! Cependant, elle domine sa confusion, invoque l’appui de ses bonnes saintes ; et il lui semble entendre leur voix mystérieuse murmurer doucement à son oreille : 


« — Va, fille de Dieu ! ne crains rien, le Seigneur est avec toi…