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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/11

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ces malheurs publics. Vassaux du roi, ils l’aimaient, ils le révéraient d’autant plus… qu’ils le connaissaient moins et ne subissaient point son vasselage, dont ils s’étaient affranchis, grâce à leur éloignement de leur suzerain et aux troubles des temps.

Les enfants sont d’ordinaire les échos de leurs parents ; aussi, à l’exemple de son père, de sa mère, Jeannette, dans sa crédulité naïve et tendre, plaignit de tout son cœur ce gentil dauphin de France, si doux, si beau, si vaillant, et si malheureux par la faute de sa méchante mère. Hélas ! il se trouvait « — presque sans abri pour reposer sa tête, abandonné de tous, et bientôt forcé de fuir du royaume de ses ancêtres ; — » ainsi l’avait dit le messager.

Jeannette, qui, depuis quelque temps, se prenait souvent à pleurer sans cause, pleura les infortunes de son roi et s’endormit en priant ses chères saintes et saint Michel archange d’intercéder auprès du Seigneur Dieu en faveur de ce pauvre jeune prince. Ces pensées poursuivirent la bergerette jusque dans ses rêves, rêves bizarres où elle voyait tantôt le dauphin de France, beau comme un ange des cieux, lui sourire avec tristesse et bonté, tantôt des hordes d’Anglais, armés de torches et d’épées, marcher, marcher, laissant derrière eux un long sillon de sang et de flammes.




Jeannette s’éveilla ; mais, l’imagination vivement frappée du souvenir de ses songes, elle ne put s’empêcher de penser beaucoup au gentil dauphin de France, et d’éprouver grand’pitié pour lui. Le jour venu, elle rassembla les brebis qu’elle menait chaque matin au pacage, et les conduisit vers le vieux bois chesnu, où elles trouvaient ombre fraîche et herbe fleurie. Pendant qu’elles paissaient, elle s’assit près de la fontaine aux Fées, ombragée par un hêtre séculaire, puis fila machinalement sa quenouille.

Au bout de peu d’instants, Sybille, marraine de Jeannette, vint aussi à la fontaine, portant sur son dos une grosse liasse de chanvre ;