Aller au contenu

Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/124

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parts de terre, couronnées de plates-formes aux embrasures armées de bombardes et de balistes destinées à lancer des traits. Ces bastilles, distantes les unes des autres de deux ou trois cents toises, cernaient complétement Orléans, coupaient ou dominaient les routes et la rivière en amont.

Jeanne Darc interrogea longuement le coulevrinier sur la manière de combattre des Anglais logés dans les redoutes, dont elle s’approcha plusieurs fois avec une tranquille audace, afin de juger par elle-même des moyens de défense des assiégeants ; durant cet examen, elle faillit être atteinte par une volée de traits lancés de la bastille Saint-Laurent. Elle ne s’émut pas, sourit en voyant les flèches tomber à quelques pas d’elle, et étonna non moins maître Jean par le calme de sa bravoure que par la netteté de ses observations ; elles révélaient une surprenante aptitude militaire, un coup d’œil rapide et sûr. Entre autres choses, elle dit au coulevrinier, après s’être enquis de lui de la façon dont on avait jusqu’alors guerroyé, qu’il lui semblait qu’au lieu d’attaquer, ainsi que par le passé, plusieurs redoutes à la fois dans des sorties générales, il vaudrait mieux concentrer les troupes sur un seul point, attaquer ainsi successivement les bastilles les unes après les autres, avec certitude de les emporter, puisqu’elles ne pouvaient contenir dans leur enceinte qu’un nombre limité de défenseurs, tandis qu’en rase campagne rien ne bornait le nombre des assaillants, leur masse réunie pouvant être trois à quatre fois supérieure en force à la garnison de chaque redoute prise isolément. Jeanne témoignait enfin, par une foule de remarques, de cette intuition extraordinaire dont sont doués les grands capitaines ; le coulevrinier, de plus en plus surpris d’une pareille vocation guerrière, s’écriait :

— Hé, payse ! dans quel livre avez-vous donc appris tout cela ?

— Dans le livre où me fait lire le Seigneur Dieu en m’inspirant[1], — répondait naïvement Jeanne.


  1. Procès de rev., t III., p. 410.