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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/14

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rêveuse et le regard errant dans l’espace ; — une jeune fille sauvera la Gaule… La prédiction va-t-elle donc s’accomplir ?

— Quelle prédiction, marraine ? 


— La prophétie de Merlin… un barde de Bretagne.

— Et quand l’a-t-il faite cette prophétie ? 


— Il y a mille ans et plus.

— Mille ans et plus !… Merlin était donc un saint, marraine ?

Sybille, absorbée dans ses pensées, ne parut pas entendre la question de la bergerette ; et, le regard toujours errant dans l’espace, elle se mit à murmurer d’une voix lente et accentuée ce vieux chant de l’Armorique :

« — Merlin… Merlin… MerlinOù allez-vous si matin avec votre chien noir ?

»— Je viens chercher ici… l’œuf rouge… l’œuf rouge du serpent marin…


» — Je viens chercher, dans la vallée, le cresson vert et l’herbe d’or

» — Et la branche élevée du chêne… dans le bois, sur le bord de la fontaine[1]. »

— La branche élevée du chêne… dans les bois, sur le bord de la fontaine ? — reprit Jeannette en regardant au-dessus et autour d’elle, frappée des paroles et de l’expression recueillie de la figure de Sybille ; — c’est comme ici, marraine… c’est comme ici !… — Puis, remarquant que la vieille Bretonne ne l’écoutait pas et paraissait plongée dans une sorte de contemplation intérieure : — Marraine, — ajouta-t-elle en posant doucement sa main sur le bras de Sybille, — marraine, quel est donc ce Merlin dont vous parlez ?…

— Un barde gaulois dont les chants sont encore chantés dans mon pays, — répondit Sybille en sortant de sa rêverie ; — on parle de lui dans nos plus anciennes légendes…


  1. Merlin-l’Enchanteur, chants populaires de la Bretagne. (Villemerqué, t. I, p. 219.).