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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/146

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fond d’une chapelle obscure, les vainqueurs voulaient les massacrer, Jeanne s’y opposa, disant que la vie des prêtres était sauve[1] ; d’autres encore, épargnés à sa prière, furent emmenés captifs. Les casernes, les logements de la redoute, construits en charpente et recouverts de planchettes, furent livrés aux flammes ; cet immense incendie, luttant contre les premières ombres de la nuit, jeta la consternation dans les autres redoutes anglaises et éclaira le départ des Français.

Lorsque Jeanne, à la lueur des torches, rentra le soir dans Orléans à la tête des citoyens de la ville, le beffroi de la maison commune, toutes les cloches des églises, sonnèrent à grande volée, les canons retentirent, tout dans la ville était joie, espérance, enthousiasme ; la Pucelle, par son premier triomphe, venait de donner le signe (ainsi qu’elle disait) qu’elle était véritablement envoyée de par Dieu. Elle fut accueillie comme une libératrice par la foule idolâtre.

Jeanne à son retour chez maître Jacques Boucher, dont la femme et la fille la couvrirent de caresses, Jeanne assembla les capitaines et leur dit :

— Dieu nous a soutenus jusqu’ici, messires ; mais nous ne sommes qu’au commencement de notre tâche, achevons-la promptement… Aide-toi, le ciel t’aidera !… Il faut demain, au point du jour, profiter du découragement que notre victoire d’aujourd’hui aura jeté parmi les Anglais, retourner hardiment à l’attaque et enlever les autres bastilles[2]. »

Mais, hélas ! la fin de cette journée si glorieuse pour la guerrière devait remplir son âme d’amertume. Dunois, Lahire, Xaintrailles, beaucoup moins malveillants pour Jeanne que les autres capitaines, reculèrent devant sa courageuse résolution et la taxèrent de témérité ; profitant de cette indécision funeste, Gaucourt et le parti ouvertement hostile à la Pucelle firent déclarer par le conseil de guerre « qu’en raison de la solennité religieuse du lendemain jeudi, fête de l’As-

  1. Chronique de la Pucelle, p. 220.224 ; ap. J. Quicherat, t. IV, et le Journal du siége déjà cité.
  2. Ibid., p. 225.