Aller au contenu

Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/153

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

put se résoudre à demeurer complice de cette exécrable trahison ; mais, sans toutefois la dévoiler, il reprit :

— Jeanne, ne vous courroucez pas, l’on ne peut tout vous dire à la fois… l’on vous a fait connaître la première partie de notre plan de bataille ; maintenant, je dois ajouter que l’attaque des Tournelles sera une feinte, et pendant que les Anglais se hâteront de venir au secours des leurs en traversant la Loire, nous irons attaquer du côté de la Sologne leurs bastilles, qu’ils auront laissées à peu près dégarnies de combattants[1].

Malgré ces tardives explications, l’héroïne ne douta plus de la perfidie de ces hommes de guerre, mais leur cacha sa douloureuse indignation ; et, forte de sa supériorité militaire, leur déclara net, avec sa franchise rustique, que le plan de bataille du conseil était détestable et, qui pis est… honteux. Ne se réduisait-il pas à une ruse de guerre, non-seulement couarde à l’excès, mais des plus funestes en des circonstances ? Ne fallait-il pas, en continuant d’exalter leur bravoure par des entreprises hardies, au besoin téméraires, relever le moral des défenseurs de la ville, si longtemps abattu ? les convaincre que rien ne pouvait plus résister à leur vaillance ? Or, en supposant la réussite de cette piteuse feinte, quelle misérable victoire ! aller attaquer un ennemi que l’on sait absent, et, grâce à des forces cinq ou six fois supérieures en nombre, écraser une poignée d’hommes ! Quoi ! exposer ainsi les vainqueurs à un lâche triomphe ! alors qu’avait sonné l’heure des résolutions héroïques ! mieux vaudrait cent fois une glorieuse défaite !… Enfin, admettant toujours le succès de cette ruse de guerre, que détruisait-on ? Quelques redoutes à peine défendues ; mais sans importance depuis la prise de la grande bastille de Saint-Loup, qui seule coupait les communications de la Sologne et du Berry avec Orléans. Ce plan de bataille était donc de tous points mauvais et inopportun ; il fallait, au contraire, le lendemain matin,

  1. Jean Chartier, vol. IV, p. 59 ; ap. Quicherat.