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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/181

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Le bon sens, l’instinct politique de Jeanne, traçaient à Charles VII la seule voie qu’il eût à suivre : son sacre à Reims, consécration divine de son pouvoir contesté, donnait aux yeux des peuples ignorants et crédules un puissant prestige à sa royauté, ainsi reconstituée, relustrée, retrempée, rajeunie ; c’était de plus et surtout un audacieux défi jeté aux Anglais, dont le roi se prétendait aussi roi de France, défi menaçant après la victoire d’Orléans ; mais Jeanne avait compté sans la crasse pusillanimité de ce mièvre et sensuel porte-couronne, si amoureux de sa paresse, si jaloux de ses plaisirs, si ennemi des moindres fatigues, si soigneux de sa peau ! Quoi ! aller hardiment se faire sacrer à Reims ! Mais il faudrait pour cela monter à cheval à la tête de l’armée ! abandonner ses maîtresses, sa vie indolente ! Il lui faudrait sans doute affronter quelque péril, car depuis Orléans jusqu’à Reims, tout le pays appartenait encore aux Anglais, et l’on n’arriverait sans doute qu’à travers de rudes batailles, jusqu’à l’antique cité où fut sacré Clovis, ce brigand couronné, pieux fondateur de la royauté franque, intronisée par les évêques des Gaules.

— Aller à Reims, mais ce projet était insensé, criminel, — s’écriaient La Trémouille et l’évêque de Chartres. — Ce projet ne mettait-il pas en danger les jours précieux de leur sire ?

Et leur piteux sire de s’écrier comme eux et comme eux courroucé :

— Moi ! sortir de mes châteaux de Loches ou de Chinon ! alors que les Anglais tiennent encore Meung, Beaugency, Jargeau et autres places fortes, aux frontières de la Touraine… Mais au premier pas que je tenterais hors de mes retraites, ils me tomberaient sur le corps !

Et il maugréait à part soi, envoyant au diable cette enragée Pucelle qui voulait le faire sacrer malgré lui, et plus que lui avait souci de l’honneur de la royauté.

Jeanne, navrée, indignée, se contenant à peine, répondit que si le départ de Charles VII dépendait seulement de la prise de toutes les places fortes encore possédées en Touraine par les Anglais, elle les prendrait, ces forteresses ! et chasserait l’ennemi si loin, si loin,