Aller au contenu

Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/227

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

eux-mêmes et les autres. De quoi vous accusent-ils ? De sorcellerie ? d’hérésie ? Soit ! mais ils ne peuvent sans doute invoquer contre vous que deux faits capitaux : celui des voix mystérieuses entendues par vous, celui des apparitions vues par vous ; ils espèrent, à l’aide de ces deux faits, vous condamner. Comment cela ? me demanderez-vous, chère fille, dans la touchante simplesse de votre âme, comment ? Hélas ! le voici… et ils n’ont pas d’autre moyen d’arriver à leurs fins exécrables… (Jeanne Darc redouble d’attention ; le chanoine baisse de plus en plus la voix en regardant du côté du guichet.) Vos juges, j’en suis certain, vous diront d’un air confit et bénin : « — Jeanne, vous prétendez avoir vu sainte Marguerite, sainte Catherine et saint Michel archange, vous prétendez avoir entendu leurs voix ; ne serait-ce point une illusion de vos sens ? En ce cas, les sens, par leur grossièreté charnelle, étant outrageusement susceptibles d’égarement, l’Église hésiterait à vous imputer à crime une erreur purement charnelle… » Eh bien ! pauvre chère fille ! (les traits du chanoine simulent une anxiété navrante) si, abusée par cet insidieux langage et croyant y voir une issue pour votre salut, vous répondiez : « — En effet, je n’affirme pas avoir vu les saintes et l’archange… je n’affirme pas avoir entendu leurs voix… mais je crois avoir vu… je crois avoir entendu… » si vous disiez cela, chère et sainte fille, vous seriez perdue !… (Mouvement de Jeanne Darc.) Oui, perdue… voici pourquoi : Reculer devant l’affirmation de ce que vous avez réellement vu et entendu, présenter ces faits sous les formes du doute, serait faire planer sur vous l’accusation d’un mensonge odieux, blasphématoire, hérétique au premier chef ! on vous accuserait… (d’une voix de plus en plus menaçante) on vous accuserait de vous être fait un jeu des choses les plus sacrées ! on vous accuserait d’avoir, grâce à ces tromperies diaboliques, abusé les populations en vous donnant pour une inspirée de Dieu, que vous outragiez d’une façon horrible et sacrilège par cette fourberie abominable ! impie !… (D’une voix sourde, mais effrayante.) Alors, une excommunication