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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/235

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Vous le voyez, par ces notes analytiques, chers lecteurs, Jeanne subit six interrogatoires depuis le 21 février jusqu’au 3 mars 1431. Tout en conservant les réponses qui mettent le plus en lumière l’admirable caractère de la victime, nous avons cru devoir fondre, réduire les six séances en deux, afin d’éviter d’innombrables redites ; car les juges, ou plutôt les bourreaux de l’héroïne, prirent à tâche de la fatiguer, de la harceler, de la troubler, en l’enlaçant dans un réseau de mille subtilités théologiques, en lui posant vingt fois les mêmes questions, insidieusement renouvelées, afin d’obtenir de sa loyauté, de sa candeur, des aveux que ces prêtres déclarèrent ensuite malsonnants et damnables. Ils poursuivirent ainsi opiniâtrement leurs interrogatoires, sans pitié pour les souffrances morales et physiques de Jeanne Darc, plus tard affaiblie par les suites d’une cruelle maladie due, selon de flagrantes probabilités, à un empoisonnement dont l’évêque Pierre Cauchon aurait prémédité la tentative, afin de se débarrasser promptement et obscurément de la captive. Nous lisons, t. III, p 49, de l’ouvrage de M. Quicherat, la déposition du médecin appelé pour donner des soins à Jeanne ; il dit, après avoir cru remarquer des symptômes d’empoisonnement :

«… J’ai visité la Pucelle en prison, en présence du chanoine Pierre d’Estivet et de Guillaume de la Chambre, je l’ai trouvée couchée les fers aux jambes ; j’ai touché son pouls et je l’ai interrogée sur la cause de sa maladie. La prisonnière m’a répondu : — J’ai mangé d’une carpe que l’évêque de Beauvais m’a envoyée ; et je crois que c’est là ce qui m’a rendue malade. — Tais-toi, ribaude ! — s’écrie Pierre d’Estivet (l’un des prêtres-juges !…) tais-toi ! Tu as mangé des fèves ; c’est cela qui t’a été contraire. — Non, je n’ai pas mangé de fèves, — répondit Jeanne et de nouveau elle vomit avec de grandes douleurs, tandis que d’Estivet et des Anglais qui se trouvaient là injuriaient encore Jeanne, l’appelant paillarde et p… (paillardam et putanam)… ce qui la fit beaucoup pleurer. »

Jugez par ce fait, chers lecteurs, des ignominies, des injures, des outrages, dont la pauvre martyre fut accablée durant sa captivité. Ce n’est pas tout : ses implacables ennemis dépassèrent les dernières limites de la noirceur et de la férocité. Vous connaissez la délicate et virginale pudeur de Jeanne ; cette pudeur l’avait conseillée de prendre des vêtements d’homme, puisqu’elle devait désormais vivre et guerroyer avec des gens d’armes. Elle conserva dans son cachot ces vêtements masculins, ne les quittant ni jour ni nuit, espérant ainsi pouvoir mieux se défendre d’une violence infâme qu’elle redoutait ; or, entre autres péchés mortels dont le tribunal ecclésiastique accusait Jeanne, on lui reprochait d’avoir abandonné le costume de son sexe. Vint le jour où, abjurant ses erreurs, ses crimes (vous verrez la cause