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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/8

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porte du logis, jouissait de la fraîcheur du soir, les uns assis sur un banc, les autres sur le sol. Jacques Darc, homme robuste, au regard sévère, au teint hâlé, aux cheveux gris, se reposait des travaux de la journée, ainsi que ses deux fils, Pierre et Jean. Leur mère Ysabelle filait sa quenouille ; Jeannette cousait du linge. Grande et forte pour son âge, svelte, bien proportionnée, elle avait les cheveux noirs, et noirs aussi étaient ses yeux brillants, largement ouverts ; l’ensemble de ses traits promettait une beauté mâle et douce à la fois[1]. Elle portait, selon la mode lorraine, une jupe de gros drap écarlate, et de son corsage, échancré aux épaules, sortaient les manches de sa chemise, découvrant à demi ses bras nerveux et blancs, légèrement dorés par le soleil.

La famille Darc écoutait les récits d’un étranger, vêtu d’un surcot brun, chaussé de grandes bottes éperonnées, tenant un fouet à la main, et portant en sautoir une boîte de fer-blanc attachée à une courroie. Cet étranger, nommé Gillon-le-Chanceux, parcourait à cheval de grandes distances, en sa qualité de messager-volant ; il transmettait les lettres que s’écrivaient les personnages importants. Il revenait d’accomplir l’un de ces messages auprès du duc de Lorraine, et s’en retournait vers Charles VII, alors résidant à Bourges. Gillon-le-Chanceux, passant par Domrémy, avait prié Jacques Darc de lui enseigner une auberge où il pourrait souper et donner la provende à son cheval.

— Partagez notre repas, et mes fils conduiront votre monture à l’écurie, — répondit au messager l’hospitalier laboureur. L’offre acceptée, l’on soupa ; l’étranger, désireux de payer son écot à sa manière, en donnant de récentes nouvelles de France à la famille Darc, lui raconta comment les Anglais, maîtres de Paris., de presque toutes les provinces, y régnaient en maîtres, terrifiant les populations par des violences, par des rapines sans fin ; comment le roi d’Angle-

  1. Procès de condamnation, t. I, p. 74.