Aller au contenu

Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/129

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

être, mais par une conséquence de leurs relations sociales ; les maîtres fréquentant le même monde, les serviteurs se retrouvaient, chaque soir, ainsi que leurs maîtres, dans un petit nombre de maisons qui avec certaines ambassades (ainsi que je l’appris plus tard) composaient les lieux de réception de la fine fleur de la haute aristocratie parisienne ; les relations de la bourgeoisie étant, au contraire, immensément divisées, ses domestiques, ne se rencontrant pas dans les mêmes centres de réunion, ne formaient point de groupe compact comme celui des laquais des grands seigneurs.

Ce fut vers ce dernier groupe que je me dirigeai, espérant peut-être apprendre quelque chose sur l’inconnu du cabaret des Trois-Tonneaux, que je croyais être le prince de Montbar.

Au bout d’un quart d’heure d’audition (mes camarades étaient loin de parler bas), je fus presque effrayé de ce que je venais d’apprendre sur le grand monde parisien ; intrigues amoureuses, scènes de famille, intérêts de fortune, rien ne paraissait ignoré de mes aristocratiques camarades, et encore l’espèce même de leur service les reléguant au vestibule ou derrière la voiture, ne les introduisait pas dans l’incessante et complète intimité du foyer, ainsi qu’il arrive pour les valets de chambre.

Cet entretien à bâtons rompus, que je venais d’entendre, les faits qu’il me révélait, me frappèrent tellement, pour plusieurs motifs, qu’il m’est resté presque tout entier à la mémoire.

—Tiens ! te voilà au Musée, — avait dit un laquais aristocratique à un autre de ses camarades, — hier, aux Italiens, tu m’avais dit que vous alliez à la course du bois de Boulogne ?

— Oui, mais l’ordre de la marche a changé : nous avons été, après les Italiens, à l’ambassade de Sardaigne, et là on a changé d’avis, et on s’est donné rendez-vous pour ici, c’est sûr.

Il y était donc hier soir, à l’ambassade ?

— Parbleu… puisque nous y allions… il y était. Mais il a filé presque aussitôt que nous sommes arrivés… Je crois que nous commençons à joliment l’embêter… le fait est que Madame se fane diablement…