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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/132

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— Monsieur, — dis-je à ce garçon d’une taille de tambour-major, — cette belle voiture verte derrière laquelle vous étiez n’appartient-elle pas à M. le prince de Montbar ?

— Oui… jobard, — me répondit le colosse après avoir dédaigneusement toisé ma modeste livrée bourgeoise, et paraissant très-choqué de ma familiarité.

Trop satisfait du renseignement que je venais d’obtenir pour me soucier beaucoup de la peu flatteuse épithète dont on m’avait salué, je m’éloignai de cet orgueilleux confrère.

Plus de doute pour moi, l’inconnu du cabaret des Trois-Tonneaux était le prince de Montbar ; sans doute, il venait au Musée dans l’espoir d’y rencontrer Régina. Celle-ci était sans doute déjà arrivée, car, après quelques recherches, je découvris parmi les domestiques la livrée du comte Duriveau, qui avait dû conduire au Louvre Régina et son père. Désirant autant que possible m’assurer du fait, je m’approchai du groupe où j’apercevais deux valets de pied vêtus de livrée brune à collet bleu et galonnée d’argent. L’entretien paraissait fort animé de ce côté.

— Voyez-vous, chez nous on s’enfonce, — disait un laquais à livrée bleue et à collet jaune. — Hier encore, malgré l’ordre de ne pas les recevoir, le tailleur et le boucher qui n’avait, lui, rien reçu depuis près d’un an qu’il a cessé de vouloir fournir la maison, ont forcé la consigne ; ils ont trouvé monsieur sur le grand escalier. Et ils lui en ont dit… ils lui en ont dit… que d’en bas nous les entendions se disputer.

— Ne pas payer le tailleur… ça se fait encore… à la rigueur, — dit un autre, d’un air sentencieux, — mais ne pas payer le boucher… c’est dégoûtant… c’est des gens qui dégringolent ; … faut pas rester là, mon garçon.

— Sans compter que M. le marquis avait fait des billets à Hubert, son cocher, pour la nourriture des chevaux, et voilà le troisième billet qui n’est pas payé. Avant-hier… c’était la couturière qui a fait une scène en remportant une robe de bal qu’elle ne voulait laisser à Madame que moyennant de l’argent comptant… C’est tous les jours