Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/139

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fis indiquer le bureau de location des loges, espérant apprendre là quelque chose de Basquine ; le buraliste, après avoir reçu mon argent en échange du coupon de la loge, me dit :

— C’était la dernière qui me restait, mon brave ; notre théâtre devient à la mode… il y a aujourd’hui des loges louées par des marquis, des comtes, des capitaines ; enfin du beau monde, comme aux Italiens.

Mlle Basquine ne joue-t-elle pas ce soir, Monsieur ? — lui demandai-je.

— Non, c’est la fameuse Clorinda qui joue le rôle de la fée d’Argent.

— Pourtant j’ai vu sur l’affiche le nom de Basquine.

— Ah oui !… la petite figurante… elle a un bout de rôle… celui du mauvais génie ; elle ne reste pas un quart d’heure en scène…

— On dit que, malgré cela, Basquine a montré déjà bien du talent, Monsieur ?

— Du talent ! une figurante à dix sous par soirée !… du talent !… ah ! jeune homme, vous me faites de la peine !

— Pourriez-vous me dire où demeure Mlle Basquine, Monsieur ?

— Où elle demeure ! — s’écria le buraliste en éclatant de rire, — apprenez, jeune homme, que des figurantes à dix sous par soirée ne demeurent pas… ne demeurent jamais… ça perche quelquefois, et encore…

Et le buraliste me tourna le dos.

Assez désappointé, je pensai que du moins je verrais Basquine le soir, me fiant à mon inspiration du moment pour trouver le moyen de lui parler après le spectacle.

 
 

Balthazar tint sa promesse ; pendant qu’il dînait joyeusement avec Robert de Mareuil, célébrant d’avance la conquête des millions de Régina, on me servit, dans une espèce d’office, le plus splendide repas que j’eusse vu de ma vie ; je fis peu d’honneur à ce régal, préoccupé que j’étais, et des moyens de revoir Basquine et des craintes que m’inspiraient, pour l’avenir de Régina, les espérances de Robert de Mareuil, certain, disait-il, d’être aimé d’elle.