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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/141

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l’œil brillant, irrité ; je fus frappé du geste insolent et hardi dont il sembla défier les spectateurs en leur montrant la badine de jonc qu’il tenait de sa petite main, gantée de gants glacés.

De la part d’un homme, cette forfanterie eût sans doute soulevé un nouvel orage ; mais la bravade de Scipion fut, au contraire, accueillie par de grands éclats de rire et des bravos ironiques. Je ne sais où la colère eût entraîné cet enfant, dont les lèvres se serraient de rage, si son père ne l’eût amicalement emmené au fond de la loge. Un adolescent, à peu près de l’âge de Scipion, et un homme à figure intelligente, mais basse et sournoise, accompagnaient le vicomte et son père ; d’après ce que j’avais entendu dire le matin par les gens du comte, l’homme à figure sournoise devait être et était en effet le gouverneur de Scipion ; l’adolescent, un des compagnons de ce dernier.

Malgré mon peu d’usage du monde, il me semblait singulier que le comte eût choisi ce spectacle pour y conduire son fils, non à cause de l’espèce des pièces que l’on y jouait, les féeries semblent faites au contraire pour amuser les enfants ; mais le comte ne devait pas ignorer que ce théâtre servait souvent, disait-on, de rendez-vous aux gens qui voulaient passer une folle et bruyante soirée après des libations exagérées.

Bientôt les trois coups, solennellement frappés derrière le rideau, commandèrent un silence général, l’orchestre joua une lugubre ouverture ; dans mon impatience de voir paraître Basquine, je m’adressai à l’un de mes voisins.

— Verra-t-on bientôt mademoiselle Basquine ? — lui disje.

— Qui ça, Basquine ?… Ah ! cette blonde qui joue le mauvais génie… non, pas encore… sa scène est à la fin de l’acte.

— Basquine a beaucoup de talent, n’est-ce pas, Monsieur ?

— Ma foi ! je ne sais pas ; elle est assez drôlette. Quand elle fait ses simagrées diaboliques, elle a l’air méchant comme un démon ; mais 1] y a un moment où elle veut chanter ; oh ! alors… merci… c’est aussi embêtant qu’à l’Opéra.

— Ah ! Monsieur, comment pouvez-vous dire cela ! — reprit mon voisin de gauche, — Basquine joue son bout de rôle avec une expres-