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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/145

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que tu ressentirais aussi profondément que par le passé cette amitié d’enfance qui te lie à Basquine et à Bamboche. »

En effet, il me semblait que depuis quelques jours à peine je venais d’être séparé de mes compagnons. Je ne me demandais pas par quels moyens hasardeux, coupables sans doute, criminels peut-être, Bamboche, naguère ruiné, poursuivi comme contrebandier, et complice avoué de la Levrasse et du cul-de-jatte dans je ne sais quelles affaires ténébreuses, pouvait de nouveau afficher un certain luxe. Je ne me demandais pas si la confiance avec laquelle il osait se montrer en public témoignait de son incroyable audace ou de son innocence… je ne songeais qu’à la joie de le revoir. Malgré moi mes yeux devenaient humides en pensant que bientôt nous allions nous dire : — Te souviens-tu ? — Une chose m’inquiétait. Bamboche savait-il que Basquine allait paraître sur le théâtre ?… avait-il pour elle le même amour qu’autrefois ?… La présence de la femme dont était accompagné mon ami d’enfance compliquait encore les questions que je m’adressais à moi-même, et dont j’espérais connaître la solution dans l’entr’acte. Bien décidé que j’étais à aller demander Bamboche à la porte de sa loge, en attendant, je ne le quittais presque pas des yeux. Sa compagne s’étant penchée à son oreille, lui dit quelques mots tout bas ; aussitôt, et quoiqu’il parût s’amuser de la féerie comme un enfant, Bamboche fit à sa compagne un signe affirmatif et sortit de la loge.

— Vous désirez voir Basquine, — me dit, quelques moments après, mon voisin de gauche, partisan déclaré de la pauvre figurante. — Attention ! elle va paraître… Voilà déjà le tonnerre, les flammes de l’enfer et tout le bataclan qui annoncent son entrée.

Je laisse à penser quels regards curieux, impatients, je jetai sur la scène.

Le théâtre représentait alors une forêt sombre et profonde, le tonnerre grondait, de fréquents éclairs illuminaient la scène…

La vue de ce décor, le bruit de ce tonnerre amenèrent dans mon esprit un rapprochement puéril peut-être, mais qui me causa une impression étrange, presque effrayante.

Plusieurs années auparavant, dans une sombre forêt, où reten-