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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/153

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sive et triomphante ;… mais soudain Basquine parut s’attendrir… regarder le bouquet avec une compassion croissante… Peu à peu les traits de la jeune fille se transfigurèrent, son visage reprit cette expression de douceur angélique, d’adorable candeur… que je lui avais vue si souvent dans son enfance… Loin de flétrir le bouquet de myrte, Basquine le caressait du geste, du regard, avec une tendresse innocente et charmante… Il est impossible d’imaginer ce qu’il y avait alors de grâce enchanteresse, d’irrésistible séduction dans le jeu de Basquine ; aussi la fée d’Argent, souriante, heureuse, rassurée, baisait les mains du mauvais génie, croyant le bouquet sauvé… Hélas ! vaine espérance… Tout à coup l’ange redevenait démon ; d’un souffle Basquine flétrissait le bouquet en poussant un éclat de rire sardonique, mais sonore, harmonieux ; puis elle fondait, si cela se peut dire, les dernières vibrations de ce sinistre éclat de rire, dans l’andante d’un air de bravoure, d’un caractère puissant et farouche (musique composée par elle, je l’ai su depuis), dont les paroles avaient à peu près ce sens :

« Je suis le génie du mal, le mal est mon domaine ; mon souffle glacé flétrit toutes les joies ; je n’ai qu’à paraître, et le bonheur se change en tristesse, etc. »

Basquine chantait cet air, aux paroles plus que médiocres, avec une si admirable expression, qu’elle leur donnait un accent terrible ; sa voix de mezzo-soprano, à la fois grave, veloutée, sonore, vibrante, faisait tressaillir toutes les cordes de mon âme…

Et je n’étais pas seul profondément impressionné par ce rare talent…

Suspendu, comme on dit, aux lèvres de Basquine, je jetai par hasard les yeux sur la loge occupée par Balthazar et par Robert de Mareuil, loge située presque sur le théâtre.

Le poëte écoutait Basquine avec un intérêt et une admiration qu’il traduisait par les gestes, par les mines, par les attitudes les plus excentriquement enthousiastes ; Robert de Mareuil, au contraire, écoutait dans une extase recueillie… D’abord, assis dans le fond de la loge, puis, comme attiré malgré lui par le chant, par le jeu, par la beauté de Basquine, il avait peu à peu avancé la tête, et, s’appuyant