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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/184

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— Avant de te citer l’aventure de Louis le Bien-Aimé, j’en étais restée, je crois, à ma présentation au milord-duc ; vêtue d’une magnifique toilette enfantine, portant ma belle poupée d’une main, je donnai l’autre à ma gouvernante ; et nous traversâmes d’abord une admirable galerie de tableaux, puis des salons tous plus splendides les uns que les autres, et nous arrivâmes à l’appartement particulier du milord-duc ; à l’exception de ses deux valets de chambre de confiance, aucun des gens de la maison ne pénétrait jamais dans ces appartements. Ma gouvernante, s’arrêtant avec moi devant une porte recouverte de velours rouge, sonna d’une façon particulière : l’un des deux hommes de confiance nous ouvrit, il échangea quelques mots en anglais avec miss Turner, qui me remit alors aux mains de ce nouveau personnage et me dit : « — Corso (c’est le nom de ce valet de chambre italien) va vous conduire auprès de Monseigneur ; soyez bien sage, comportez-vous comme une petite lady bien élevée et souvenez-vous de tous mes conseils. » — La porte se referma sur ma gouvernante, je restai seule avec ce Corso, dont la figure à la fois efféminée et basanée, les yeux noirs, perçants, profondément charbonnés, m’inspiraient une vague répulsion. — « Si Mademoiselle veut me suivre, — me dit-il respectueusement en me prenant la main, — je vais la conduire auprès de Monseigneur. » — Et Corso me fit traverser un premier salon, puis une espèce de boudoir complétement lambrissé de glaces, dont le plafond était en glaces, ainsi qu’une partie du parquet ; Corso toucha à un ressort que je n’aperçus pas, un panneau de glace glissa dans une rainure, et tenant toujours mon guide par la main, je le suivis avec une inquiétude croissante dans un corridor complétement obscur, et garni d’épais tapis où s’amortissait le bruit de nos pas. Au bout de quelques minutes, une porte s’ouvrit, Corso me poussa légèrement devant lui, et lorsque je me retournai vivement vers mon conducteur, il avait disparu, et il me fut impossible de reconnaître par quelle issue j’étais entrée. De ma vie, je n’oublierai cette scène : je me trouvais dans une espèce de rotonde toute tendue de draperies noires semées de larmes d’argent et éclairée par une lampe funéraire aussi en argent ; la senteur pénétrante des parfums les plus suaves et les plus violents