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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/20

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l’aversion que m’inspirait l’ancien bourreau de mon enfance, échappé sans doute à l’incendie de sa voiture, allumé par Bamboche, m’était un nouveau motif de fuir cette demeure, craignant à chaque instant une descente de la police : dans ce cas, malgré mes protestations, je devais, aux yeux les moins prévenus, passer pour le complice du cul-de-jatte et être jeté en prison comme voleur, quitte à prouver plus tard mon innocence… Cet avenir me paraissait bien autrement redoutable que d’être arrêté pour fait de vagabondage…

De plus en plus déterminé à user de la force pour sortir, je pris à tout hasard, parmi les armes anciennes, une espèce de masse en fer damasquiné, moins pour en frapper le cul-de-jatte que pour l’intimider en cas de menaces ou de résistance de sa part.

J’étais encore baissé vers l’amas d’armes que je venais de bruyamment déranger, pour y choisir la masse de fer, lorsque une main s’appuya sur mon épaule ; je tressaillis si vivement… (faisant presque face à la porte, j’étais bien certain qu’on ne l’avait pas ouverte) qu’en me retournant, la masse de fer me tomba des mains…

Je vis le cul-de-jatte debout derrière moi. Il venait d’entrer, non par la porte donnant sur le corridor, mais par un placard pratiqué dans une cloison, dont je ne soupçonnais pas l’existence, la demeure du bandit avait deux issues. Ainsi échouait mon projet de fuite de vive force à la faveur de la porte entr’ouverte.

— À la bonne heure, — me dit le cul-de-jatte, en faisant allusion à mes habits, — te voilà mis comme un seigneur.

Après un moment de silence, je répondis :

— Vous ne voulez pas me rendre les vêtements que je portais ?

— Tu te plains peut-être de l’échange ?

— Oui… car ces vêtements sont volés sans doute, comme tous les objets qui sont dans cette chambre.

— As-tu déjeuné ? — dit le bandit en regardant sur la chaise ; — non ? allons, mange un morceau, nous causerons… Je t’ai fait du feu, je t’ai préparé ton déjeuner. Bamboche ne t’aurait pas mieux traité.