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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/245

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— Cette âpreté au gain te paraît ignoble… n’est-ce pas ?

— Monsieur…

— Sois sincère, — reprit-il d’une voix presque menaçante. — Je t’ai pris avec moi surtout parce que je t’ai cru vrai… j’ai chassé celui que tu remplaces, parce qu’il m’avait menti… indice certain d’une mauvaise et vulgaire nature ; j’ai cherché longtemps ce que je dois trouver en toi, une âme loyale, élevée, quoique dans une condition infime… Prouve-moi que je ne me suis pas trompé… et souvent je penserai tout haut devant toi… Voyons, que dis-tu de ma cupidité ? hein ?

— Eh bien ! Monsieur, — lui répondis-je résolument, — je m’étais fait une toute autre idée de l’art de guérir… Selon moi… c’était…

— Un sacerdoce… n’est-ce pas ! c’est le mot consacré, — dit-il, en m interrompant avec un éclat de rire sardonique.

Puis il reprit :

— Va pour sacerdoce… Eh bien ! après, est-ce que le prêtre ne vit pas de l’autel ?

À ce moment notre fiacre s’arrêta devant la façade d’un magnifique hôtel… Sans doute on attendait impatiemment mon maître, car à peine eut-il paru qu’un domestique placé en vedette, s’écria, en accourant ouvrir la portière :

— Ah ! Monsieur le docteur… on dit Monsieur le marquis dans un cas désespéré… et qu’il n’y a pas un instant à perdre… Une voiture vient de partir pour aller vous chercher à l’Hôtel-Dieu… une autre pour aller chez vous… tant on craignait que vous n’ayez oublié…

— C’est bon, c’est bon, — dit rudement le docteur, — mes aides sont-ils arrivés ?

— Ces messieurs sont ici depuis une demi-heure…

— Attends-moi, — me dit mon maître, — il y a un fameux coup de filet à donner ; mais j’aurai du mal… ce vieux marquis est le roi des avares et des roués…

Et le docteur Clément entra dans l’hôtel.

Pendant l’absence de mon maître, je réfléchissais à la cupidité