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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/258

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Suivant ma conductrice, j’entrai dans une vaste chambre dont la fenêtre donnait sur la rue.

— Voilà votre logement, — me dit Suzon, — Cette sonnette que vous voyez est celle de Monsieur… cette autre est celle de M. Just, le fils de mon maître.

— M. le docteur a un fils qui se nomme Just ? — demandai-je avec émotion.

— Sans doute… Et c’est moi qui l’ai élevé, — reprit Suzon, non sans un certain orgueil.

Je compris alors que, par une pensée touchante, le docteur Clément plaçait ses nombreux et intelligents bienfaits sous le nom de son fils.

Suzon reprit :

— Lorsque M. Just est à Paris, vous faites, pendant son séjour ici, son service et celui de Monsieur. Ordinairement vous m’aiderez à ranger et à approprier la maison… puis vous irez au cabinet de consultation de Monsieur, ici à côté, annoncer les visites et en tenir la liste. À six heures on prend le café, à midi on déjeune, à sept heures on dîne avec Monsieur.

— Avec Monsieur le docteur ! — m’écriai-je, — à sa table ?

— Certainement, à moins que Monsieur n’ait des visites imprévues. Il est onze heures ; à midi je frapperai à cette cloison, ce sera l’heure du repas, car pour ce qui est du déjeuner… Monsieur déjeune seul.

Et sans me donner le temps de répondre un mot, Suzon me quitta.

Très-étonné de cette singulière et patriarcale habitude de mon nouveau maître qui faisait manger ses domestiques à sa table, je jetai un regard curieux sur ma nouvelle demeure. Rien de plus triste et pour ainsi dire de plus claustral que l’aspect de cette silencieuse maison ; mais j’avais vu de si près la terrible misère, ou bien j’avais été placé dans des conditions si cruellement antipathiques à mon caractère, que, songeant à tout ce que je découvrais à chaque instant de généreux et de vénérable dans le caractère de mon nouveau