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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/270

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aimé de votre fille avec autant de sincérité que de désintéressement, alors à quoi bon des millions ?

— Comment ! à quoi bon ? mais sans ces millions je n’autoriserai pas ce mariage, Monsieur le docteur.

— Alors, si votre fille aime mon fils, elle se mariera malgré vous, j’ai l’honneur de vous en assurer.

— Je la déshériterai, Monsieur.

— Qu’importe ? mon fils aura ses mille écus de rentes et sa place ; lui et sa femme vivront ainsi dans l’aisance ; s’ils veulent du superflu, mon fils acceptera de riches propositions qu’on lui fait à l’étranger.

— Mais cela est précaire, Monsieur ; et s’ils ont des enfants ?

— Mon fils aura de quoi les élever ; ensuite ils accompliront la tâche que Dieu a imposée à chacun ; ils travailleront comme a fait leur père… comme a fait leur grand-père, je parle de moi qui suis venu à Paris en sabots… Sur ce, Monsieur, — ajouta mon maître en se levant, — permettez que je vous quitte… j’ai quelques consultations à donner.

Ensuite de cette conversation, où se révélaient dans toute son austère élévation la sagesse de mon maître et sa tendresse éclairée pour son fils, je ne pus m’empêcher de me rappeler comme point de comparaison le déplorable sort de Robert de Mareuil, pauvre victime de la stérile oisiveté de l’héritage — l’éducation non moins oisive, non moins fatale, du vicomte Scipion, éducation qui semblait lui présager aussi un si funeste avenir.