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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/286

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Non pas, mon père, — m’a-t-il dit gaiement quand je lui ai parlé du désir de Régina, — Je deviendrais amoureux fou de la princesse ; attends que j’aie le cœur pris ailleurs, alors je la verrai impunément. — J’ai raconté cette folie à Madame de Montbar ; elle en a beaucoup ri ; elle riait alors… mais, à cette heure qu’il s’agit de graves intérêts… mon fils comprendra ce qu’il y a de sacré dans la mission que je lui laisse… et que je lui détaillerai par écrit… si j’en ai la force.

Et le vieillard, dont la voix s’était de plus en plus affaiblie, paraissant fatigué par cet entretien, retomba dans une sorte d’accablement.

Malgré moi, mon cœur se brisait.

Autant j’eusse été fier, heureux, de braver toutes les humiliations, pour accomplir obscurément l’œuvre de mon dévouement ignoré… mais à la condition de l’accomplir seul, autant je souffrais à la pensée de partager cette noble tâche avec le fils de mon maître, qui, brillant, de tous les avantages extérieurs, doué de rares qualités d’esprit et de cœur, devait être admis dans l’amicale intimité de Régina, tandis que je poursuivrais ma tâche, inconnu de tous…

Je l’avoue à ma honte, un moment dominé par ces basses et jalouses pensées… j’eus la lâcheté de reculer devant ma première résolution, lâcheté doublement indigne, car les dangers de Régina semblaient s’accroître… mais cette faiblesse odieuse faillit à étouffer en moi tout sentiment généreux ; je fus sur le point d’avouer à mon maître que je renonçais à mon projet, n’ayant ni assez de courage, ni assez de vertu pour le poursuivre.

Heureusement, après de douloureux efforts, je sortis vainqueur de cette lutte, et m’adressant au docteur :

— Monsieur, encore une prière.

— Parle…

— Veuillez… je vous en conjure, ne pas dire à M. votre fils dans quelles circonstances singulières j’entre au service de Madame de Montbar.

— Comment ?