Aller au contenu

Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/29

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Non… Monsieur, — répondis-je, — mais je désirerais le voir… lui parler…

— Il est absent, Monsieur, — me répondit le caissier d’un air de plus en plus soupçonneux ; sa longue expérience pressentait, sans doute, ma demande ; — veuillez écrire à M. du Tertre ou me dire ce qui vous amène auprès de lui.

— Ce qui m’amène auprès de lui, Monsieur, — répondis-je en surmontant ma crainte et ma honte, — c’est sa réputation de bonté charitable, et… je viens…

Le caissier ne me laissa pas achever : habitué, sans doute, à de telles demandes, il me répondit avec une froideur polie :

— Certes, Monsieur, on vante à juste titre la charité de M. du Tertre, mais il l’exerce selon des principes dont il ne se départ jamais ; veuillez me laisser d’abord votre nom et votre adresse, ensuite le nom et l’adresse d’au moins deux personnes connues et recommandables, chez qui l’on puisse prendre des informations sur votre compte ; veuillez enfin spécifier quelle espèce de secours vous désirez obtenir de M. du Tertre ; dans trois jours, vous vous donnerez la peine de revenir.

— Monsieur… daignez m’écouter, — m’écriai-je, — ma position est bien pressante… je… n’ai pas.

— Pardon, Monsieur, mes moments sont comptés, — me répondit le caissier en m’interrompant, — veuillez passer dans la pièce voisine ; le garçon de caisse vous donnera ce qu’il vous faut pour écrire les renseignements que je vous demande.

Et comme j’insistais pour être entendu, le caissier se leva, sonna, me reconduisit très-poliment à la porte, et dit à l’un des garçons de caisse :

— Donnez à Monsieur ce qu’il lui faut pour écrire.

— Je vous remercie… j’écrirai… chez moi… j’enverrai ma lettre, — dis-je tristement au garçon, et je sortis la mort dans le cœur.

Je l’ai su depuis, M. du Tertre donnait beaucoup, mais sans jamais dévier des règles qu’il avait imposées à sa bienfaisance. Malgré mon cruel désappointement, je fus obligé de convenir que Paris étant toujours exploité par une foule d’aventuriers ou d’audacieux fainéants, les précautions du banquier semblaient dictées par la raison,