Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/301

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moi comme un rêve… j’allais habiter sous le même toit que Régina.

Je ne puis dire avec quel battement de cœur je frappai pour la première fois à la porte de l’hôtel de Montbar. Je demandai le principal domestique, qui, après avoir lu un mot que je lui remis de la part du capitaine Just, afin de constater mon identité, me dit de le suivre chez la princesse.

Après avoir gratté à la lourde portière d’un petit salon, il m’introduisit, en disant à Régina occupée à écrire :

— Voilà le valet de chambre que Mme la princesse attendait.

— C’est bien… — répondit-elle sans discontinuer d’écrire et sans me regarder.

Le maître d’hôtel sortit ; je restai seul avec ma future maîtresse.

La princesse était enveloppée dans une robe de chambre de cachemire fond orange à palmettes, qui dessinait sa taille de Diane chasseresse ; ses admirables cheveux noirs, naturellement ondés, se tordaient en une grosse natte derrière sa tête, et son petit pied, chaussé d’une mule de maroquin brodé d’argent, dépassait les plis traînants de sa robe, dont la manche un peu flottante laissait voir le commencement d’un bras blanc, poli comme l’ivoire, et le poignet élégant de sa main charmante.

Un suave parfum remplissait ce salon, tendu de damas vert, rehaussé de baguettes dorées ; la table à écrire de la princesse était pour ainsi dire entourée d’un buisson de fleurs massées dans une jardinière demi-circulaire, très-basse et placée sur le tapis ; il y avait encore une grande quantité de fleurs disposées dans des coupes et des vases de magnifique porcelaine placés çà et là sur des meubles d’une rare somptuosité.

Je n’avais de ma vie vu une pareille profusion de fleurs rares et un luxe de si bon goût. La lumière arrivait dans ce parloir à travers un store de satin où étaient peints des oiseaux de mille couleurs. Ce demi-jour mystérieux, le profond silence qui régnait dans l’appartement, situé sur le jardin, la douce odeur des fleurs et du léger parfum qui s’exhalait de la chevelure ou des vêtements de Régina, que dirai-je enfin ? la vue de cette femme si belle et si longtemps adorée