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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/31

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trouvés entre ce personnage et moi ; puis d’ailleurs l’allée me semblait moins encombrée à son autre extrémité.

Dans l’intervalle que je mis à parcourir cet espace, en réglant ma marche sur celle de mon futur bienfaiteur, je cherchai du regard d’autres physionomies encore plus encourageantes que la sienne. Je n’en rencontrai point. Quelques pas à peine me restaient à faire pour atteindre le bout de l’allée où je me trouvai bientôt presque seul avec celui sur qui reposaient à mon insu mes dernières espérances ; je m’armai d’un vouloir énergique, je hâtai ma marche, et m’avançant parallèlement à lui sans qu’il parût m’apercevoir, je balbutiai d’une voix tremblante, étouffée :

— Monsieur…

Soit que la crainte et la confusion eussent rendu ma parole inintelligible, soit que mon futur bienfaiteur fût distrait ou préoccupé, il ne m’entendit pas, et continua lentement sa promenade jusqu’à la fin de l’allée. Rougissant alors de ma faiblesse, je fis un dernier effort sur moi-même, et, lui faisant face au moment où il se retournait, je le saluai en lui disant timidement :

— Monsieur…

— Monsieur ? — me dit-il en s’arrêtant surpris et me regardant fixement.

Puis, comme je restais muet, interdit, il ajouta :

— Monsieur, vous vous trompez sans doute ; je n’ai pas l’honneur de vous connaître.

Ces mots me glacèrent ; ma résolution s’évanouit ; je reculai devant l’impossibilité de raconter là, au milieu de cette promenade et de cette foule, presque toute ma vie à un inconnu, d’insister sur mille particularités qui, seules, pouvaient me rendre intéressant et me distinguer d’un mendiant ordinaire. Aussi, effrayé de ce que j’avais tenté, je répondis en balbutiant :

— Non, Monsieur, je n’ai pas l’honneur d’être connu de vous… je voulais… j’espérais…

Il me fut impossible d’articuler un mot de plus ; mon gosier se contracta, je restai muet, immobile, mon chapeau à la main, n’o-