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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/315

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table ; le tailleur du prince était excellent. Je revêtis un habit du plus beau drap noir, élégamment coupé. Lorsque ma toilette fut terminée, je me regardai dans la petite glace de ma chambre, soigneusement cravaté de batiste blanche, chaussé de bas de soie noire et d’escarpins bien luisants à boucles d’or, je ne craignis pas d’être reconnu par le prince, qui ne m’avait adressé la parole qu’une fois, et alors qu’à moitié ivre, il me plaisantait sur les haillons dont j’étais couvert.

En entrant dans l’office de la salle à manger, je trouvai le maître d’hôtel et le vieux valet de chambre du prince, nommé Louis, qui me dit affectueusement :

— Avant d’aider au couvert, mon cher ami, avez-vous été voir si le feu du parloir de Madame allait bien ? Elle ne peut tarder à rentrer…

— Non, Monsieur Louis, lui dis-je ; je n’y avais pas songé et j’y vais…

— N’oubliez pas aussi, lorsque Madame rentrera, de vous trouver à la porte du parloir d’attente pour la recevoir.

— Je vous remercie, Monsieur Louis ; mais comment serai-je instruit du retour de Madame ?

— C’est bien simple, par le bruit de sa voiture d’abord, et puis par deux coups du timbre qui correspond à la loge du portier… Le timbre frappe un coup lorsque Monsieur rentre, deux coups lorsque c’est Madame

Je me rendis donc dans le parloir de la princesse pour veiller à son feu ; je ne pus m’empêcher de tressaillir en sentant de nouveau le parfum particulier à cette pièce, où Régina se tenait de prédilection, parfum doux, suave, quoique pénétrant ; oubliant, je l’avoue, un instant mon service, je regardais autour de moi avec émotion, contemplant ces fleurs, ces tableaux, ces livres, ces meubles qui ornaient le sanctuaire de la princesse, lorsque j’entendis marcher dans une petite galerie de tableaux qui séparait le parloir où je me trouvais, de la chambre à coucher de la princesse.

Au moment où, de crainte d’être surpris inactif, je me baissais vivement vers la cheminée, le prince entra… J’étais courbé, je ne pus voir son visage, mais un assez brusque temps d’arrêt dans sa marche