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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/320

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Ce disant, et à ma grande surprise, le prince leva un instant les yeux sur moi, comme si cette explication de sa présence dans l’appartement eût été donnée à mon intention, explication dont je fus d’ailleurs ravi, car elle apprenait à Madame de Montbar ce que j’avais eu la maladresse de ne pas lui dire : — que, pendant son absence, son mari s’était introduit chez elle.

Ainsi devaient tomber les soupçons qu’elle pouvait avoir sur moi dans le cas où elle se serait aperçue de quelque acte indiscret.

— Je suis très-heureuse que le tableau vous plaise, — avait répondu la princesse à son mari, — seulement je regrette que vous ne veniez l’admirer que… pendant mon absence.

Je ne sais si ces mots prononcés par la princesse avec autant de froide politesse que si elle se fût adressée à un étranger, parurent au prince renfermer un double sens, mais il arrêta sur sa femme, pendant une seconde, un regard pénétrant ; puis il ajouta :

— Lorsque vous êtes chez vous, vous êtes toujours très-entourée, et, vous le savez, il n’y a rien de plus fâcheux qu’un mari dans le salon de sa femme, le matin. À propos de vos amis, le beau d’Erfeuil est-il toujours aussi sot qu’il est beau ?

— Il est plus beau que jamais.

— Et d’Hervillier a-t-il toujours ses désolantes prétentions de chanteur ? supplie-t-il toujours tout bas qu’on lui demande de chanter, afin de minauder une feinte résistance ?… Comme ça lui va, un homme de six pieds… avec une carrure de tambour-major et une voix de chantre de cathédrale !

— M. d’Hervillier a fait un progrès : il chante sans qu’on le lui demande.

— C’est le cri du désespoir, — dit le prince en continuant son persiflage ; — et cet énorme Dumolard, le frère de votre amie intime, — et M. de Montbar accentua ces mots avec une extrême malveillance, — cet homme d’une grosseur irritante prête-t-il toujours sa voiture et ses loges aux belles dames, généreuses complaisances qui l’ont fait appeler l’omnibus ?

— M. Dumolard est toujours cité pour son obligeance énorme… — répondit la princesse, qui me parut vouloir lutter d’ironie avec