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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/37

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pas répondu, elle m’a mis forcément dans l’alternative de mourir de faim où de commettre une action indigne ; que mon infamie retombe sur cette société marâtre ; elle méconnait mon droit de vivre, je méconnais ses lois.

Sans doute mon compagnon lut sur mon visage l’âcreté de mes pensées, car il me dit :

— Je t’aime comme ça, mon fils : tu es pâle, tu serres les dents… Je suis sûr qu’un bon couteau à la main, tu ne craindrais pas dix personnes.

Mon compagnon venait de prononcer ces sinistres paroles, lorsque nous fûmes obligés de nous arrêter au milieu d’un attroupement causé par quelque embarras de voitures ; l’angle de la rue ainsi obstrué, les passants refluaient ; je m’étais arrêté au bord du trottoir ; soudain je poussai une exclamation involontaire. À quelques pas de moi… j’apercevais Régina dans l’une des voitures arrêtées par l’encombrement.

La jeune fille était vêtue de noir, ainsi que je l’avais toujours vue aux anniversaires de la mort de sa mère ; une légère pâleur couvrait son mélancolique et beau visage, elle semblait pensive.

Par hasard elle tourna la tête de mon côté… pendant une seconde à peine son regard triste et distrait s’arrêta machinalement sur moi…

Mes yeux rencontrèrent les siens… sans qu’elle parût d’ailleurs s’en apercevoir.

À ce moment, le passage devenu libre, la voiture où Régina se trouvait en compagnie d’une autre femme continua sa route et disparut.

Le regard de Régina fut électrique ; une lueur divine éclaira soudain l’abîme où j’allais tomber… Ma résolution fut prise en un instant.

Je me trouvais séparé du cul-de-jatte par plusieurs personnes un moment arrêtées comme nous ; à ma gauche je vis une porte cochère ouverte, et sous sa voûte les dernières marches d’un escalier ; profitant d’un moment où mon compagnon, sans défiance, regardait d’un autre côté, j’entrai vivement sous la porte cochère sans être remarqué du portier, je montai en hâte l’escalier jusqu’au premier étage, puis j’accomplis très-lentement mon ascension jusqu’au cinquième, prêt à