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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/55

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temps à ses commissions littéraires ; il ne m avait pas encore payé, je me trouvais fort embarrassé, et à la fin d’une épargne d’une dizaine de francs.

Balthazar, à qui j’avais une fois, bien à contre-cœur, demandé quelque argent, me dit majestueusement :

— Fi donc ! je songe pour toi à quelque chose de mieux que ce misérable salaire quotidien.

Cette réponse, peu compréhensible, m’empêcha du moins de réitérer ma demande. Balthazar était si bon, si cordial, que j’aurais craint de le blesser. Je me résignai donc à attendre, sans trop savoir comment Je ferais pour sortir de cette situation, si elle se prolongeait.

Sans croire absolument aux vingt-cinq louis de pour-boire, et au recouvrement des neuf cents louis que je devais opérer le lendemain, je voyais Balthazar si sûr de son fait, et j’avais tant besoin de voir personnellement ses espérances réalisées, que presque involontairement je les partageai un peu.

Mais, hélas !… le lendemain, nouvelle déconvenue. Cette fois-là, les libraires ne se contentant pas de refuser de lire les lettres et de recevoir les manuscrits, me mirent à peu près à la porte…

Je montai lentement les cinq étages de l’appartement de Balthazar, mon sac de manuscrits sous le bras, et à la main mon inutile boîte à recettes, cherchant de quelle façon peu blessante pour l’amour-propre du poëte je pourrais lui demander une seconde fois quelque à-compte, car on venait, faute de payement, de me donner congé d’un petit cabinet garni que j’occupais rue Saint-Nicolas.

J’arrivai à la porte de Balthazar, elle était ouverte ; à mon assez grand étonnement, je vis une malle et un sac de nuit dans la petite pièce qui précédait la chambre du poëte dans laquelle j’entendis à travers la porte entrebâillée des éclats de rire et des exclamations Joyeuses, parmi lesquelles revenaient ces mots :

— Ce brave Robert… ce cher Robert… quelle bonne surprise !… À ce nom de Robert, je me rappelai le voyageur dont j’avais porté les bagages lors de sa descente du bateau à vapeur, ce personnage qui, malgré le déguisement de ses traits, avait été reconnu, arrêté devant moi, et conduit sans doute en prison.