Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/103

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— Tu ne tueras rien du tout, ma grosse… tu es trop lâche, — répondit la voix ignoble et enrouée du paillasse.

— Je ne la tuerai pas ? Non… non, c’est que je tousse… — dit la mère Major, en appuyant sur ces derniers mots avec un accent singulier.

Puis elle compléta sans doute la signification de ses paroles par une pantomime expressive ; car, au bout d’une seconde de silence, le paillasse reprit, sérieusement cette fois :

— Ah ! en toussant. Oui, c’est possible ; mais je t’en défie… tu n’oseras pas… devant le monde…

À un mouvement qui se fit derrière la toile où se tenaient ceux que j’écoutais, je m’esquivai lestement.

Je compris alors la cause de l’accès de fureur de la mère Major, je fus doublement effrayé pour Basquine : plus d’une fois elle m’avait appelé à son aide pour se défendre des brutalités du paillasse, me suppliant, de crainte de quelque malheur, de cacher ces tentatives à Bamboche, dont la jalousie était des plus irritables. La pauvre enfant avait donc à redouter, et la jalousie de la mère Major et la haine du paillasse.

Je fus sur le point de tout révéler à Bamboche ; mais songeant que, d’après sa confidence, nous devions quitter la troupe cette nuit même et ne voyant dans les paroles de la mère Major qu’une menace lointaine (paroles d’ailleurs incompréhensibles pour moi, puisqu’elle disait qu’en toussant elle pouvait tuer Basquine), je crus prudent de garder le silence, le danger ne me semblant pas imminent.

J’arrivai auprès de Bamboche presque en même temps que Basquine.

La pauvre petite s’approcha de lui, les mains jointes, les yeux humides, suppliants, la physionomie empreinte d’un indéfinissable mélange de déférence, de frayeur et de tendresse.

— Dis un mot… et je ne parais plus ce soir, — murmura-t-elle d’une voix altérée.

Puis elle ajouta d’un ton résolu :