Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/178

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je suivis cet homme sans la moindre résistance ; je pensais avec joie que Bamboche et Basquine avaient le temps de fuir.

— Ah çà ! — me dit Claude Gérard.

C’était lui, et son accent annonçait plus d’étonnement que de colère.

— À qui en as-tu ? Pourquoi venir te jeter ainsi dans mes jambes ?

Puis me regardant plus attentivement :

— Mais tu n’es pas du village ?

Je restai muet.

— D’où es-tu ? d’où viens-tu ?

Je continuai de garder le silence, la prolongation de cet interrogatoire assurant de plus en plus la fuite et l’impunité de mes complices.

— Voyons, mon enfant, — me dit Claude Gérard, avec une paternelle douceur, — explique-toi… ceci n’est pas naturel… tu trembles… tu parais ému… tu es pâle… regarde-moi donc.

Pour la première fois, je levai les yeux sur Claude Gérard.

Il était alors instituteur dans cette commune, fonctions qui, acceptées comme il les envisageait, équivalent à un imposant sacerdoce… Je vis devant moi un homme de trente ans environ, de taille moyenne, d’apparence robuste, misérablement vêtu d’une blouse rapiécée çà et là ; ses pieds nus disparaissaient à demi dans des sabots garnis de paille ; il portait un vieux chapeau de feutre gris à fond plat et larges bords, pareil à ceux dont se coiffent les charretiers ; ses traits prononcés n’avaient rien de régulier ; mais ils me frappèrent par leur expression de mélancolique douceur et de gravité.

— Tu ne veux donc pas me répondre, mon enfant ? — continua Claude Gérard avec une surprise mêlée d’une légère inquiétude.

— Mais j’y songe, — reprit-il soudain, — j’étais dans la cour depuis un quart d’heure, et je ne t’ai pas vu entrer ?… Comment te trouvais-tu dans l’écurie ?…

Une idée soudaine venant alors sans doute à sa pensée, il s’écria :

— La fenêtre de ma chambre était ouverte… et cet argent ?…

Puis il ajouta par réflexion :