Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/199

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Ma pensée s’égarait au milieu de ces poignantes incertitudes ; aucun parti possible et praticable ne se présentait à moi.

Las de chercher une issue à ces perplexités, je songeai à Claude Gérard, à ses offres généreuses.

Je fus peu séduit, il est vrai, par la pensée de continuer seul cette vie vagabonde et aventureuse qui m’avait surtout charmé, parce que je la partageais avec Basquine et Bamboche.

D’un autre côté, Claude Gérard me l’avait dit franchement : je devais, en acceptant ses offres, me résigner à une vie de privations, de travail ; or, l’habitude de la fainéantise et de l’indépendance était déjà si bien enracinée en moi, que je n’envisageais pas sans effroi cette longue suite de jours sans joie et laborieusement occupés… qui m’attendaient chez l’instituteur ; pourtant je trouvais au moins chez lui une existence rude, pauvre, mais assurée : de plus, quoiqu’il y eût entre lui et moi une grande différence d’âge, peut-être son affection m’aiderait-elle à supporter la perte ou l’éloignement de mes amis d’enfance.

Ce besoin d’affectuosité, d’expansion, chez moi si naturel et si vif, loin de s’affaiblir, s’était développé davantage encore par la pratique de tous les dévouements que ma tendre amitié pour mes compagnons m’avait inspirés ; aussi me paraissait-il cruel de me résigner à vivre désormais seul, sachant d’ailleurs par expérience combien j’avais eu de peine à trouver un ami.

Ces réflexions faisaient de plus en plus pencher la balance en faveur de Claude Gérard, quoique je sentisse qu’il n’y aurait jamais entre lui et moi d’intimité, de confiance, de camaraderie… Il m’imposait beaucoup, et déjà je me connaissais assez pour prévoir que cette impression de gratitude mêlée de respect ne se changerait jamais en une tendre familiarité…

Je ne sais combien de temps eussent duré ces hésitations peu honorables pour moi, je l’avoue, sans une pensée étrange dont je fus soudain frappé.

Je n’avais jamais oublié ma rencontre avec cette charmante petite fille appelée Régina, que j’avais enlevée dans la forêt de Chantilly, enlèvement demeuré très-innocent d’ailleurs, malgré les mauvais