Aller au contenu

Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/238

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cet homme, que j’appellerai désormais le cul-de-jatte (je dirai tout à l’heure comment j’acquis la conviction que tel était ce personnage,) cet homme, l’exécrable instituteur de Bamboche, étant sorti tout entier de la fosse, redressa sa haute et robuste taille, un moment fatigué sans doute de s’être tenu si longtemps courbé. Prenant alors à la main le paquet que j’avais remarqué, il jeta les yeux de côté et d’autre, avisa le cyprès derrière lequel j’étais blotti, et s’en approcha.

Je retins ma respiration ; me ramassant sur moi-même, je me fis aussi petit que possible, afin de rester inaperçu dans l’ombre et derrière l’abri qui me cachait.

Le cul-de-jatte s’approcha encore… je me crus mort…

Heureusement, au lieu de faire quelques pas de plus, il s’assit par terre sur le sommet d’un petit talus, et il me tourna ainsi complétement le dos, pendant qu’il dénouait le paquet qu’il avait tenu entre ses dents pour sortir plus facilement de la fosse ; c’était un mauvais mouchoir où se trouvaient jetés pêle-mêle différents objets volés par lui, sans doute, dans le cercueil…

Le cul-de-jatte mit le paquet entre ses jambes, et s’occupa d’examiner attentivement son butin à la clarté de la lune, ne craignant pas sans doute d’être surpris à cette heure de la nuit.

L’inspiration que j’attendais des circonstances me vint subitement : avant, par un mouvement involontaire, rencontré sous ma main le manche de la lourde pelle dont je m’étais servi le matin, je me levai sans faire le moindre bruit ; et d’ailleurs, le vent, agitant bruyamment les branches du cyprès, eût empêché le cul-de-jatte de m’entendre… Je pris à deux mains le manche de la pelle ; je la levais en l’air comme une massue, lorsque, calculant d’un dernier coup d’œil la portée de mon arme, je m’aperçus que, pour atteindre sûrement le cul-de-jatte et pouvoir lui assener de toutes mes forces un coup sur le crâne, il me faudrait faire deux pas vers lui, et sortir absolument de ma cachette.

Un moment j’hésitai… ma résolution m’abandonna. Le moindre bruit, la moindre hésitation dans mon attaque, pouvaient me perdre… car cet homme n’eût pas reculé devant un assassinat.