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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/41

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cruauté, mais qui me serrait le cœur, j’avais vu la femme au béguin blanc, jusqu’alors cachée dans l’obscurité projetée par la haute cheminée, sortir de ce recoin et se diriger à pas lents vers la porte, mettre sa main sur le pêne de la serrure, puis, s’arrêtant soudain… baisser la tête avec accablement comme si elle eût hésité à sortir.

J’ai rarement rencontré des traits plus réguliers, plus doux que ceux de cette jeune fille : elle paraissait avoir au plus dix-sept ans ; un mauvais fichu de cotonnade rouge cachait à peine son cou et ses épaules ; sa jupe, rapiécée en vingt endroits avec des morceaux d’étoffes de couleurs différentes, était soutenue par des bretelles en lisière.

Il fallait que sa beauté fût bien grande pour être aussi remarquable malgré l’extrême : maigreur de son pâle visage, où se voyait encore la trace de larmes récentes.

Après être restée quelques secondes à la porte, la main toujours posée sur le loquet de la serrure, la jeune fille sembla faire un violent effort sur elle-même, leva au ciel ses beaux yeux bleus, et revint lentement reprendre sa place dans l’ombre de la cheminée.

À ce moment la Levrasse disait brutalement :

— Allons, remettez vos coiffes, il n’y a pour moi rien à faire ici. C’était bien la peine de perdre mon temps !

Puis, faisant quelques pas vers la porte, la Levrasse ajouta :

— Bonsoir la compagnie…

Alors il se passa une scène de marchandage à la fois ignoble et pénible.

Scène pénible, parce que c’était pitié de voir ces malheureuses qui ne savaient que trop combien le pain était cher, ainsi qu’avait dit la Levrasse, prier, supplier cet homme, quelques-unes avec larmes, d’acheter à tout prix leurs cheveux, pauvre et dernière ressource sur laquelle elles avaient tant compté.

Scène ignoble, parce que la Levrasse, abusant avec une indigne rapacité de la misère de ces infortunées, marchandait opiniâtrement sou à sou, répétant sans cesse que l’acquisition ne lui convenait pas et la dépréciant sans merci.

Enfin, de guerre lasse, ces malheureuses subirent les offres de