Aller au contenu

Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/59

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je n’avais pas quitté Jeannette des yeux, aucun des mouvements de son père ne m’avait non plus échappé…

Lorsque le moribond entendit le tintement métallique de l’argent, il se dressa convulsivement sur son séant, promena autour de lui des yeux hagards, et s’écria :

L’homme à l’argent !… c’est l’homme’!… il va me prendre Jeannette… Au secours… au secours…

À ces cris, à la vue de ces traits bouleversés, Jeannette, fondant en larmes, se jeta au cou de son père et s’y cramponna, tandis que le charron, serrant de toutes ses forces défaillantes son enfant contre son cœur, répétait d’une voix de plus en plus épuisée :

L’homme !… l’homme !… je ne veux pas… moi, j’aime mieux mourir… et garder Jeannette… c’est ma femme… qui a voulu… et qui a écrit à l’homme… moi… je ne voulais pas… et…

Une convulsion s’emparant du moribond, il ne put achever, se roidit, se renversa en arrière, entraînant avec lui Jeannette qui, poussant des cris déchirants… enlaçait de ses petits bras le cou de son père…

— Mon pauvre mari !… Bonne sainte Mère de Dieu, ayez donc pitié de lui… Soyez donc juste à la fin… — s’écria la femme du charron avec une douloureuse amertume. — Oh ! mon Dieu ! le voir ainsi et ne pouvoir aller à son secours… et ces enfants qui sont là… autour de cette table… Malheureux !!! ils ne s’occupent pas de leur père seulement… ils ne pensent qu’à manger… — puis elle ajouta, comme si elle se fût reproché ces paroles :

— Hélas ! pauvres petits… ils ont si faim !…

— Signez vite…signez, — dit la Levrasse en prenant avec impatience la main de la femme du charron. — Signez… tout cet argent est à vous ; vos enfants ne manqueront de rien, vous aurez de quoi faire soigner votre mari… et je me charge du bonheur de la petite Jeannette.

Puis s’adressant aux autres enfants :

— Priez votre mère de signer, vous n’aurez plus faim… ce bon souper sera pour vous, et d’autres encore…

Les pauvres enfants, sans comprendre ce dont il s’agissait, obéi-