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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/205

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Avant qu’il eût pu faire un mouvement… Claude Gérard s’était rapidement emparé du manuscrit des Mémoires de Martin, et avait enfoui ce cahier dans l’une des vastes poches de sa casaque, puis s’adressant au comte, il lui dit d’une voix sévère :

— Martin avait redouté cet abus de confiance, Monsieur… je suis arrivé à temps…

— Vous ici !! — s’écria le comte en sortant enfin de sa stupeur.

Et, se levant brusquement, il courut à sa cheminée et tira violemment le cordon d’une sonnette.

— Cette sonnette ne donne que dans la chambre de Martin… Et il n’y est pas… vous le savez bien… — dit froidement Claude. — Nous sommes seuls ici… volets et portes fermés…

— Tu veux donc m’assassiner ! misérable ! — s’écria le comte en cherchant du regard quelque chose dont il pût se faire une arme. — Que viens-tu faire ici ?

— Je viens vous dire, Monsieur, — reprit Claude Gérard d’une voix triste et solennelle, — je viens vous dire que Perrine Martin, la mère de votre fils… est morte cette nuit…

— Morte ? elle, la mère de Martin !… — s’écria le comte.

— Morte ! il y a trois heures… — dit Claude Gérard, — ici, dans l’une de vos métairies, où on l’avait transportée…

— Elle était ici, — murmura le comte atterré. — elle est morte… Martin est mon fils !… il est donc vrai…

— Oui… Martin est son fils et le vôtre… oui, elle est morte ! — répéta lentement Claude Gérard, comme s’il eût voulu faire entrer ces paroles au fond du cœur de M. Duriveau.

— Non, non, — s’écria celui-ci presque avec égarement, — c’est un rêve affreux…

— Si c’est un rêve, Monsieur, — répondit Claude, — la cloche des morts qui va sonner à l’aube, vous réveillera…

— Oh ! cette mort… en ce moment… — murmura le comte anéanti, — quand tout le passé vient de m’apparaître…

L’accent, la physionomie de Monsieur Duriveau révélaient alors une douleur et des remords si sincères, que Claude Gérard en eut pitié, et il lui dit d’une voix moins menaçante :

— Au nom de ce passé… au nom de ce que votre fils a souffert… au nom du courage et de la résignation qu’il a montrés… repentez-vous… Il est temps, croyez-moi !