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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/213

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arrive au bal des Tuileries au bout d’un quart d’heure : on faisait queue pour venir la voir, empressement qu’elle attribuait à l’effet de ses marabouts ; aussi, elle se rengorgeait… et d’une force !! j’ai tout su par une de mes amies à qui sa maîtresse a raconté la scène. — Mon Dieu ! Madame, — disait l’un à la ministresse, — que vous avez là une coiffure printanière ! jardinière !… je me permettrai même de dire maraîchère ! — Ah ! Monsieur ! — Madame, — disait un autre, — votre coiffure ne sera jamais hors-d’œuvre. — Ah ! Monsieur ! — Mais c’est-à-dire qu’elle est à croquer, votre coiffure, — ripostait un troisième. — Ah ! Monsieur, ah ! Monsieur ! — disait la ministresse, en se pâmant de l’effet de ses marabouts. À la fin, l’amie en question, après l’avoir laissée pendant une demi-heure poser ainsi en ravière, l’a avertie qu’on commençait à l’appeler un peu trop la Mère-Radis, et, par ma foi ! le nom lui est resté.

— Astarté, je t’adorais, — dit Leporello avec enthousiasme, — aujourd’hui je te vénère… mais, malheureuse, c’était un jeu à ne jamais trouver à te replacer.

— Au contraire ! ça m’a remis en vogue dans le faubourg Saint-Germain, où l’on me reprochait de m’être ralliée en servant chez un ministre de Juillet ; aussi je n’ai eu qu’à choisir ; je suis entrée chez la comtesse de Cerisy, excellente maison, mais la comtesse est morte… Il y a de cela dix-huit mois ; alors le marquis d’Henneville, qui coquettait déjà autour de Mademoiselle Basquine, et qui était tout fier de se faire comme qui dirait son intendant, afin de se rendre nécessaire, a appris, par une de mes amies, femme de chambre de sa femme, que j’étais sans place ; il m’avait vue chez Madame de Cerisy, il m’a présentée ici… Depuis ce temps-là j’y suis restée.

— Je vois son affaire, à ce fin marquis, — reprit Leporello, — il se sera dit : Astarté sera dans mes intérêts, et c’est beaucoup d’avoir la femme de chambre… quand on fait la cour à la maîtresse.

— Ordinairement, oui ; mais ça ne lui a servi de rien… et pourtant Dieu sait que de mal il s’est donné autour de Madame, les folies d’argent qu’il a faites pour des choses dont elle n’avait pas l’air de s’apercevoir ; enfin il a quitté sa femme, croyant que Madame lui en saurait gré ; non content de ça, il a acheté, et Dieu sait quel prix, car il a voulu habiter tout de suite, une maison mitoyenne de celle-ci.

— Et pourquoi faire ?

Pour être là… tout près de Madame.