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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/233

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— Je crains, Monsieur… que votre fils ne soit pas parfaitement d’accord avec vous sur le rôle… peu flatteur… que, selon vous, il joue auprès de moi…

— C’est probable, Madame ; mon fils est très-dépravé, sans doute : mais il est malheureusement aussi très-crédule, très-aveugle… et très-niais à votre endroit. Mais, je me charge de lui ouvrir les yeux, et de le déniaiser… toujours à votre endroit…

— Scipion crédule ? aveuglé ? niais ? — reprit Basquine en souriant, — mais savez-vous, Monsieur, que vous me rendriez très-fière ? Circé l’enchanteresse ne transformait pas plus complétement ses amoureux… Cependant, malgré les sollicitations de mon amour-propre, je ne puis accepter votre bienveillante accusation et la toute-puissance que vous m’accordez ; je demeurerai persuadée, si vous le permettez… que Scipion est resté malgré moi… ce que je l’ai toujours vu, le plus charmant, le plus hardi, le plus spirituel jeune homme que je connaisse. Peut-être allez-vous prétendre à votre tour, Monsieur, que je m’aveugle sur lui… c’est possible… selon vous… il s’aveugle bien sur moi !

— Vous, aveuglée ?… non, non, Madame, — reprit le comte avec une ironie amère, — vos yeux sont aussi perçants qu’ils sont beaux… Vous saviez parfaitement où vous conduisiez mon fils, en exigeant de ce malheureux fou qu’il eût l’audace de me déclarer que je devais vous considérer comme l’unique arbitre de mon mariage et du sien… Eh bien ! Madame, mon mariage et celui de mon fils auront lieu… ils auront lieu… malgré vous… malgré lui… s’il le faut… en un mot Scipion vous échappera malgré vous… et malgré lui, s’il osait me désobéir.

— Voyons, Monsieur le comte, — dit Basquine avec un accent finement railleur, digne de notre immortelle Célimène, — vous qui êtes un homme de bonne compagnie, un homme d’infiniment de tact et d’esprit…

— Madame…

— Rassurez, de grâce, votre modestie effarouchée, je vais terminer par quelque chose de moins flatteur… peut-être… Comment, vous dirai-je, un homme de bon goût et qui sait son monde comme vous le savez, peut-il venir parler de mariage forcé ? pourquoi, je vous prie, ces airs de Géronte éperdu venant réclamer son fils chez quelque Cidalyse, ou plutôt, pour monter à votre lugubre diapason… dirait-on pas que je veux sacrifier ce candide Scipion sur l’autel de